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HISTOIRE

DES CROISADES

Guillaume de Tyr

  

LIVRE NEUVIÈME

1099 -1100

 

Godefroi de Bouillon est élu roi de Jérusalem. - Détails sur son origine et son histoire avant la croisade. - Attaque du calife d'Égypte contre le nouveau royaume. - Victoire des Chrétiens. - Départ de quelques-uns des princes croisés pour l'Europe. - Élection du patriarche de Jérusalem. - Querelles entre le patriarche et le roi. - Mort de Godefroi.

 

La cité sainte était enfin rendue au peuple chrétien par un effet de la grâce surabondante du Seigneur, et toutes choses commençaient à être remises en ordre. Sept jours furent employés par les fidèles à se livrer uniquement à leur joie, à une joie toute spirituelle et pleine de la crainte de l'Éternel. Le huitième jour les princes se réunirent pour tenir conseil, après avoir invoqué la grâce du Saint-Esprit, et s'occuper à élire dans leur assemblée un de leurs collègues, qui serait chargé de gouverner le pays et de régler, dans sa sollicitude royale, les affaires de la province. Pendant qu'ils étaient ainsi réunis, quelques hommes du clergé, le cœur gonflé d'orgueil, poursuivant leurs intérêts et non ceux de Jésus-Christ, se rassemblèrent et demandèrent à parler aux princes dans la salle de leurs séances, disant, qu'ils avaient à leur confier des choses secrètes. Ils furent introduits et parlèrent en ces termes : « On a annoncé au clergé que vous vous étiez réunis pour procéder à l'élection d'un roi choisi parmi vous. Votre projet nous paraît saint, utile et bien digne d'être mis à exécution avec le plus grand soin, pourvu cependant que l’on ne s'en occupe qu'en temps opportun. Il est certain en effet que les choses spirituelles sont plus élevées que les choses temporelles, et que ce qui est le plus élevé doit toujours tenir la première place. Il nous semble donc, à moins que vous n'ayez dessein de renverser l'ordre convenable, qu'il faut élire une personne religieuse et agréable à Dieu, qui sache gouverner l'église du Seigneur et lui être utile, avant de songer à l’élection d'une puissance séculière. Si vous voulez procéder en ce sens, nous serons complètement satisfaits et nous nous unirons à vous de corps et d'esprit ; mais, si vous faites le contraire, nous regardons comme sans force et nous déclarons dénué de toute valeur tout ce que vous aurez réglé contre ce qui nous paraît le plus conforme aux convenances».

 

Cette demande qui semblait, à la première vue, n'avoir rien que d'honnête et de décent, couvrait cependant au fond des intentions infiniment méchantes, ainsi qu'on le verra dans la suite. Le chef de cette faction était un certain évêque de Calabre, l'évêque de Martura[1] qui avait contracté une liaison intime avec cet Arnoul, dont j'ai déjà parlé ; en dépit des saints canons et malgré la résistance de tous les gens de bien, il employait tous ses efforts pour porter celui-ci au siège patriarchal. Arnoul avait été admis dans les ordres sacrés; il était fils de prêtre et tellement décrié pour ses mauvaises mœurs que, durant tout le cours de l'expédition, il devint la fable de tout le peuple et fut célébré et chanté à la ronde par tous les hommes légers et libertins. L'évêque avait aussi un esprit pervers et méprisait tout sentiment honnête. En conséquence il lui avait été facile de s'arranger avec Arnoul ; car, de quelque manière que l'on soit fait, on se complaît toujours dans la société de ses semblables, et un vieux proverbe dit que ceux qui se ressemblent s'assemblent facilement. De plus, l'évêque avait envahi l'église de Bethléem, et il avait été convenu, entre lui et Arnoul, que, si ses soins parvenaient à l'élever au patriarchat, le nouveau patriarche lui concéderait à toujours, sans contestation et sans trouble, la possession de cette église. Mais l'accomplissement de toutes ces machinations fut prévenu par la mort de l'évêque, dont j'aurai occasion de parler dans la suite de ce récit. En général le clergé avait perdu tout sentiment de piété et d'honneur ; il vivait dans la dissolution et se livrait inconsidérément à toutes sortes d'actes illicites depuis la mort du seigneur Adhémar, de pieuse mémoire, évêque du Puy et légat du siège apostolique. Guillaume, évêque d'Orange, homme religieux et craignant Dieu, lui avait succédé dans ces fonctions, et, tant qu'il vécut, il s'acquitta fidèlement de son ministère ; mais, peu de temps après la mort d'Adhémar, il s'endormit lui-même dans le sein du Seigneur et finit ses jours à Marrah. Après la mort du prélat on vit se vérifier ces paroles du prophète : tel le peuple tel le prêtre ; il n'y avait lieu à faire une exception qu'en faveur de l'évêque d'Albar et d'un bien petit nombre d'autres, qui ne cessèrent de marcher dans la crainte du Seigneur.

 

Cependant les princes traitèrent de frivole la harangue des gens du clergé, et, n'y attachant aucune importance, ils n'en continuèrent pas moins à s'occuper de l'œuvre qu'ils avaient entreprise. Quelques personnes rapportent qu'afin de mieux procéder à l'élection selon l'esprit de Dieu et suivant les mérites de chaque individu, ils firent appeler en particulier quelques domestiques de chacun des plus grands princes, qu'ils les obligèrent, sous la foi du serment, à déclarer la vérité, sans aucun mélange de mensonge, lorsqu'on les interrogerait sur les mœurs et la conduite de leurs maîtres et que tous les électeurs agirent ainsi dans l'intention d'être plus fidèlement et plus complètement instruits du mérite de chacun des éligibles. En effet les domestiques, soumis par les électeurs à un interrogatoire très-détaillé, après qu'ils eurent prêté serment, furent amenés à avouer beaucoup de vices secrets de leurs maîtres, comme aussi à énumérer toutes leurs vertus, en sorte que les faits furent bien constatés et que l'on put juger, en pleine connaissance de cause, de ce qu'était chacun de ceux qui pouvaient être élus. Les domestiques du duc de Lorraine, interrogés comme les autres, répondirent que, dans toute la conduite de leur maître, ce qui leur paraissait le plus inconvenant était qu'une fois qu'il se trouvait dans l'église il ne pouvait plus en sortir, même, après la célébration des offices divins ; qu'il allait s'adressant aux prêtres et à tous ceux d'entre eux qui lui paraissaient avoir des connaissances de ce genre, pour leur demander des explications sur chaque image et chaque peinture; que ses amis qui pensaient autrement en étaient extrêmement fatigués et ennuyés, parce qu'il faisait attendre d'une manière fâcheuse pour les repas qui avaient été préparés pour une heure fixe, et que les mets, mangés ainsi hors de propos, en perdaient toute leur saveur. Ceux qui remplissaient les fonctions d'électeurs, lorsqu'ils entendirent ces récits, estimèrent heureux l'homme dont on disait de telles choses et à qui Ion imputait comme un défaut ce que d'autres se seraient attribué comme une vertu; puis, se concertant tous ensemble et à la suite de longues délibérations, ils élurent le duc de Lorraine à l'unanimité et le conduisirent ensuite en toute dévotion pour le présenter devant le sépulcre du Seigneur, en chantant des hymnes et des cantiques. On dit encore que la plus grande partie des princes s'était accordée pour élire le comte Raimond de Toulouse ; mais, espérant qu'il retournerait aussitôt dans son pays s'il n'obtenait la royauté, et entraînés par le doux espoir de revoir le sol natal, ils mentirent à leur propre conscience en inventant toutes sortes de faussetés contre ce comte afin de le faire repousser. Raimond cependant, méprisant toujours sa patrie et suivant le Christ très-fidèlement , ne se retira point de ses voies ; il marcha en avant dans la route du pèlerinage qu'il avait entrepris et demeura constant jusqu'à la fin dans la condition de pauvreté à laquelle il s'était, volontairement soumis, sachant bien que « celui-là sera sauvé qui persévérera jusqu'à la fin[2] » et que « quiconque ayant mis la main à la charrue, regarde derrière soi, n'est point propre au royaume de Dieu[3]».

 

Au moment où le duc Godefroi fut revêtu du pouvoir royal, de l'avis unanime de tous les princes et du consentement de tout le peuple, le comte de Saint-Gilles possédait la citadelle de la ville, dite de David, que les assiégés lui avaient livrée dès le principe, ainsi que je l'ai déjà dit. Cette forteresse, construite en larges pierres carrées, était située sur le point le plus élevé du côté de l'occident, et dominait tous les quartiers de la ville. Comme elle avait naguère servi d'asile à un grand nombre de citoyens, le duc jugea qu'il n'exercerait qu'une autorité incomplète tant qu'il ne la posséderait pas, et en conséquence il demanda au comte de la lui livrer, en présence des princes réunis en assemblée. Le comte répondit qu'il l'avait reçue lui-même des assiégés et qu'il voulait la garder jusqu'à Pâques, époque où il comptait, disait-il, se remettre en route pour rentrer dans ses États, ajoutant qu'il désirait la conserver afin d'être logé plus honorablement lui et les siens. De son côté le duc déclara qu'il abandonnerait tout s'il n'avait la disposition de la tour, attendu qu'il serait trop honteux pour lui, après qu'il avait été élu chef, qu'un autre possédât la citadelle de la ville et pût être par là considéré comme son égal ou même son supérieur. Le comte de Normandie et le comte de Flandre se prononcèrent pour le duc; tous ceux qui penchaient pour le comte de Saint-Gilles, et qui étaient même de ses amis, se déclarèrent cependant contre lui, afin de le pousser par là à prendre la résolution de partir plus tôt. En attendant qu'on pût décider juridiquement lequel des deux devait céder, il fut résolu dans le conseil que le comte remettrait la garde de la tour aux mains de l'évêque d'Albar, qui la recevrait comme en séquestre. On dit que celui-ci la livra au duc sans attendre le jugement et même avant que le procès fût entamé, et que, lorsque quelques personnes le lui reprochèrent dans la suite, il déclara publiquement qu'on lui avait fait violence. Le comte, exaspéré à l'excès de l'auront qu'il jugeait avoir reçu par la manière dont on lui avait enlevé la citadelle, et vivement indigné contre les autres princes qui lui semblaient avoir oublié les nombreux bienfaits dont il les avait comblés pendant tout le voyage, et le traiter désormais avec moins d'amitié, se rendit vers les bords du Jourdain, et, s'étant lavé dans ses eaux, fit ses préparatifs pour retourner dans sa patrie et satisfaire ainsi aux voeux de tous ceux qui le suivaient.

 

Cependant l'évêque de Martura, homme plein de ruse et de méchanceté, ne cessait d'exciter une populace ignorante contre les princes chrétiens, et de répandre de tous côtés que ces princes, dans leur jalousie, ne voulaient point s'occuper des affaires de l'église, uniquement afin de pouvoir opprimer la ville plus librement, tant qu'elle demeurerait sans pasteur. Puis, réunissant les complices de sa faction, il fit élire Arnoul, malgré l'opposition de beaucoup d'autres, et l'installa sur le trône patriarcal, avec le secours du comte de Normandie, dont Arnoul avait été l'ami constant et le convive durant tout le cours de l'expédition ; le peuple léger appuya cette élection de son suffrage; mais une telle entreprise ne pouvait prospérer longtemps. Arnoul fut contraint de déposer une dignité trop témérairement usurpée, et celui qui l’avait soutenu impudemment dans toutes ses turpitudes ne tarda pas non plus à recueillir le fruit de ses mauvaises actions.

 

Dans le même temps on découvrit une portion de la croix du Seigneur dans un lieu secret de l'église de la Sainte-Résurrection. Dans la crainte des Gentils, sous le joug desquels ils gémissaient, les fidèles l'avaient cachée longtemps auparavant, et, pour plus de sûreté, ils n'avaient admis à cette confidence qu'un très-petit nombre de personnes. Le mystère de ce précieux dépôt fut révélé par un Syrien qui en avait connaissance, on retrouva la croix enfermée dans un étui en argent ; on la transféra d'abord au sépulcre du Seigneur, et de là au Temple, en chantant des hymnes et des cantiques sacrés; tout le clergé et tout le peuple marchèrent en cortège, regardant cet événement comme une consolation qui leur était envoyée par le Ciel même, et jugeant que c'était une récompense proportionnée à tant de travaux et à de si longues fatigues.

 

Cependant le duc de Lorraine, se trouvant confirmé, par la grâce de Dieu, dans la plénitude du pouvoir auquel on l'avait élevé, tous les sujets de scandale qui pouvaient encore subsister furent successivement supprimés, et l'État commença à se rétablir et se consolider. Mais le duc ne régna qu'une année, en punition des péchés des hommes, et afin que ce nouveau royaume n'eût pas à se réjouir sous la longue administration d'un si grand prince et n'y trouvât pas quelque secours dans les adversités qui le menaçaient. Il fut enlevé du monde, afin que la méchanceté ne changeât point son cœur, car il a été écrit : « Le juste périt, et personne n'y fait réflexion en lui-u même.... le juste a été enlevé pour être délivré des maux de ce siècle[4] ». Godefroi était originaire du royaume des Francs, de la province de Rheims et de la ville de Boulogne, située sur le rivage de la mer d'Angleterre. Il devait la vie à des parents illustres et pleins de piété. Son père était le seigneur Eustache l'ancien, illustre et puissant comte de la même contrée ; ses œuvres furent nombreuses et mémorables, sa mémoire est encore en vénération chez les seigneurs qui habitent les pays environnants ; tous se souviennent avec un pieux sentiment de respect de cet homme religieux et craignant Dieu. Sa mère fut distinguée entre toutes les dames nobles de l'Occident, tant par l'excellence de ses mœurs que par l'éclat de sa naissance ; elle se nommait Ide, et était sœur de l'excellent duc de Lorraine, que l'on avait surnommé Struma[5]. Celui-ci se trouvant sans enfants, adopta son neveu, qui portait le même nom que lui, et le déclara héritier de tout son patrimoine, en sorte qu'après sa mort, Godefroi lui succéda dans son duché. Il avait trois frères des mêmes père et mère, bien dignes tous trois, par leur noble conduite et l'excellence de leurs vertus, d'être alliés à un si grand prince. C'étaient le seigneur Baudouin, comte d'Edesse, qui succéda au duc dans le royaume de Jérusalem ; le seigneur Eustache, comte de Boulogne, qui porta le nom de son père, hérita de ses biens et eut le comté après lui; sa fille, nommée Mathilde, épousa l'illustre et puissant roi des Anglais, Etienne. Lorsque son frère Baudouin mourut sans enfants, Eustache fut appelé par les princes de l'Orient pour lui succéder ; mais il ne voulut pas y venir, dans la crainte que sa promotion ne pût être célébrée sans trouble et sans scandale. Le troisième frère de Godefroi fut Guillaume, qui, par ses sentiments d'honneur et sa bravoure, se montra digne de son père et de ses frères. Godefroi, le premier né de sa famille, selon la chair, fut aussi, selon l'homme intérieur, le plus distingué par ses qualités, et réunit le plus de titres aux honneurs qui lui échurent en partage. Il était religieux, clément, plein de piété et de crainte de Dieu, juste, exempt de tout vice, sérieux et ferme dans sa parole, méprisant les vanités du siècle, ce qui est rare à cet âge, et plus encore dans la profession militaire. Il se montrait assidu aux prières et abondant en œuvres de piété ; il se distinguait par sa libéralité, son affabilité était pleine de grâces, et il était doux et miséricordieux ; enfin il fut digne d'éloges dans toutes ses voies et toujours agréable au Seigneur. Il était grand, moins grand cependant que les hommes les plus hauts de taille, mais plus grand que les hommes ordinaires ; il joignait à cela une force sans exemple, ses membres étaient vigoureux, sa poitrine large et forte ; il avait une belle figure, la barbe et les cheveux légèrement roux ; de l'aveu de tout le monde, il excellait parmi les hommes de son temps dans le maniement des armes et dans tous les exercices de chevalerie.

 

La mère de ces illustres princes, femme sainte, remplie de sentiments religieux, et agréable à Dieu, animée par l'Esprit saint, eut le pressentiment de leur condition future, tandis qu'ils étaient encore enfants, et prédit, comme par oracle, l'état réservé à chacun d'eux quand ils seraient arrivés à l'âge d'hommes. Un jour qu'ils jouaient ensemble autour de leur mère, comme le font les petits enfants, se harcelant les uns les autres, et venant souvent se réfugier dans les bras maternels, le vénérable comte Eustache, leur père, entra dans l'appartement, au moment où ils étaient cachés sous la robe de leur mère. Là encore, et sous le vêtement qui les couvrait, les enfants se provoquaient à l'envi, et agitaient leurs pieds et leurs mains. Le comte ayant demandé la cause des mouvements qu'il remarquait, on rapporte que sa femme lui répondit : « Ce sont trois grands princes, dont le premier sera duc, le second roi et le troisième comte». Dans la suite, la clémence divine, dans ses bienveillantes dispensations, accomplit cette prophétie, et la suite des événements prouva que la mère de ces princes n'avait annoncé que la vérité. En effet, Godefroi, le premier d'entre eux, succéda à son oncle dans le duché de Lorraine, ainsi que je l'ai déjà dit, et obtint plus tard le royaume de Jérusalem, en vertu de l'élection de tous les princes ; Baudouin, son frère puîné, lui succéda ; et Eustache, son troisième frère, jouit, après la mort de son père, de tous ses biens et de l'héritage de ses ancêtres. J'omets avec intention la fable du cygne, rapportée cependant dans un grand nombre de récits[6] et qui a fait dire vulgairement que les fils du comte Eustache avaient eu une naissance merveilleuse ; mais une telle assertion paraît trop contraire à toute vérité. Je reviens maintenant à la suite de ma narration, et parmi les événements dans lesquels le duc se conduisit, selon sa coutume, d'une manière très-distinguée, j'en choisirai quelques-uns qui me paraissent mériter plus particulièrement d'être conservés pour l'histoire.

 

Dans un combat singulier, auquel il ne se résigna que contre son gré, mais qu'il n'avait pu refuser, pour se conformer aux usages de son pays et conserver sa réputation intacte, Godefroi se distingua par une action mémorable, que je rapporterai en quelques mots. Il fut provoqué, dans le palais même de l'empereur, par un homme noble et puissant, qui était du nombre des princes, et qu'on disait même son parent, au sujet de quelques riches domaines et d'un vaste patrimoine ; en conséquence, un jour fut assigné aux deux parties pour en venir à l'épreuve, et au jour fixé l'accusateur et l'accusé se présentèrent à la cour. Les débats ouverts, l'adversaire du duc proposa de vider le différend par les armes; Je duc résista autant qu'il lui fut possible; mais, conformément aux lois de leur patrie, on leur adjugea le combat singulier. Les plus grands princes de l'empire faisaient tous leurs efforts pour que des hommes aussi illustres ne se donnassent pas en spectacle au peuple d'une manière indigne d'eux, en s'engageant dans un combat qui devait, sans nécessité, mettre en péril l'honneur et la réputation de l'un ou de l'autre des adversaires ; cependant la sentence impériale fut mise à exécution ; le peuple se rassembla en foule, les princes prirent les places qui leur étaient dévolues par l'usage, et les deux champions s'avancèrent vers le lieu désigné pour le combat, pour tenter le sort toujours incertain des armes. Tandis que ces illustres guerriers combattaient avec vaillance et déployaient toutes leurs forces, il arriva que le duc brisa sou épée en portant un coup vigoureux sur le bouclier de son adversaire, en sorte qu'il ne lui resta dans la main, en dehors de la poignée, qu'un demi-pied de fer environ. Les princes qui assistaient au combat, voyant que le duc aurait désormais trop d'infériorité, donnèrent le signal de paix, s'avancèrent vers l'empereur, le supplièrent de les autoriser à traiter de composition entre les deux adversaires, et obtinrent l'autorisation. Ils s'y employèrent aussitôt avec le plus grand zèle ; mais le duc repoussa absolument ceux qui demandaient la paix, et, persévérant irrévocablement dans son entreprise, il recommença lui-même la bataille. Son adversaire, dont l'épée était demeurée entière, paraissait avoir sur lui un très-grand avantage, et ne lui laissait pas un instant de repos; le duc enfin, enflammé de colère et recueillant toute la force par laquelle il se distinguait entre tous les autres, s'élance sur son ennemi, tenant toujours en main le tronçon de son épée, et le frappe si violemment à l'instant où il ne s'y attendait pas, que celui-ci tomba par terre tout étourdi et comme un homme mort. Le duc alors jette au loin son épée brisée, saisit celle de son adversaire étendu à ses pieds, et appelant à lui les princes qui tout à l'heure avaient voulu parler de composition, il les invite à s'en occuper maintenant, pour arracher à une mort ignominieuse l'illustre guerrier qui vient de succomber sous ses coups. Tous les princes admirèrent sa force, sa bravoure et son incomparable magnanimité ; ils conclurent la paix, terminèrent la querelle de la manière la plus convenable, de telle sorte cependant que le duc fut reconnu vainqueur, et parut, aux yeux de tout le monde, digne d'une gloire immortelle.

 

Il est un autre événement qui lui fît aussi le plus grand honneur, dont tous les hommes conservent encore un fidèle souvenir, et qui me paraît mériter également une place dans l'histoire.

 

Le peuple des Saxons, le plus féroce de tous les peuples germaniques, ne pouvant supporter le joug de l'Empire romain, et désirant se livrer librement à son humeur vagabonde, en secouant ses chaînes et méconnaissant toute règle et toute discipline, s'était révolté contre l'empereur Henri ; il poussa même son insolente obstination jusqu'à opposer à l'empereur un certain noble de la même nation, nommé le comte Rodolphe[7] qu'il élut pour son roi[8]. L'empereur, vivement injurié, convoqua auprès de lui tous les princes de l'Empire. Tous, jaloux de la gloire de l'État, et indignés de l'énorme crime des Saxons, répondirent avec empressement à cet appel, et rassemblèrent leurs forces, déclarant qu'il était impossible de tolérer une si grande offense, qu'un tel crime ne pouvait être expié que par la mort, et que le glaive vengeur devait seul faire raison de cette entreprise de lèze-majesté. Au jour fixé par les ordres de l'empereur, ils se réunirent au rendez-vous qui leur était assigné, traînant à leur suite des milliers de combattants. Les princes ecclésiastiques accoururent ainsi que les autres de toutes les extrémités de l'Empire, chacun d'eux se disposant à pénétrer de vive force dans le pays des Saxons, et à tirer d'eux une vengeance éclatante. Déjà le jour du combat s'approchait, les deux armées avaient rangé leurs légions, et tout était préparé pour la bataille. L'empereur appela tous les princes autour de lui, et leur demanda auquel d'entre eux il pouvait confier en toute sûreté l'étendard impérial, et qui devait être nommé chef pour conduire de si grandes armées. Après avoir tenu conseil sur ce sujet, les princes lui répondirent que le duc de Lorraine Godefroi leur paraissait à tous suffisamment capable de remplir cette fonction. L'empereur lui confia donc son aigle, comme à l'homme qui avait été élu par mille autres, et que le suffrage général indiquait pour le plus habile ; mais le duc n'accepta que malgré lui, et après avoir beaucoup résisté. Le même jour, les deux armées se rencontrèrent et se battirent vaillamment[9]. Le duc, marchant avec son aigle en avant de l'empereur, conduisit le corps d'armée que commandait son souverain contre celui qui était sous les ordres du faux roi Rodolphe. Il enfonça et dispersa ce corps en présence de l'empereur et de quelques princes, parvint jusqu'à Rodolphe, lui enfonça son drapeau dans le cœur, et le renversa à terre à peu près mort ; puis aussitôt il éleva dans les airs l'étendard impérial tout couvert du sang de son ennemi. Les Saxons, voyant leur roi mort, se rendirent à l’empereur, lui donnèrent satisfaction selon la nature de leur offense, livrèrent des forteresses et des otages, s'engagèrent à renoncer à toute entreprise semblable, et rentrèrent en grâce à ces conditions.

 

Je n'ai rapporté cet événement que pour faire connaître en quelle estime était, auprès des plus puissants princes de la terre, l'homme illustre dont il est ici question. Il n'est personne qui ne reconnaisse que la meilleure preuve en est clans la désignation que firent de lui, comme du plus capable au jugement de tous, tant, de princes qui semblaient n'avoir point d'égaux dans le monde entier, surtout si l'on considère que lui-même confirma ce jugement par des actions éclatantes, et montra, par sa conduite même, qu'on l'avait bien jugé. Cet homme fit un grand nombre d'autres actions mémorables et dignes de l'admiration publique ; elles sont encore aujourd'hui dans la bouche de tout le monde, et font une histoire qui le rend à jamais célèbre. Je puis citer entre autres que lorsqu'il eut formé le projet d'entreprendre son pèlerinage, animé d'un sentiment de pieuse libéralité, il donna à l'église de Liège, à titre gratuit et perpétuel, le château dont il avait pris le surnom de Bouillon, château renommé par son site, ses fortifications, ses agréments, les champs et les vastes territoires qui l'environnent de toutes parts. Mais puisque je n'ai entrepris de raconter que les choses qu'il a faites chez nous, je reviens à mon sujet.

 

Quelques jours après qu'il fut revêtu de la royauté, Godefroi, le cœur plein de sentiments religieux, offrit d'abord à son Seigneur les prémices de sa sollicitude souveraine, en commençant par s'occuper des choses qui se rapportaient à l'honneur de la maison de Dieu. En premier lieu, il constitua des chanoines dans l'église du Sépulcre et dans le temple du Seigneur, et leur assigna d'amples bénéfices qu'on appelle prébendes, ainsi crue des logements convenables situés dans les environs de ces deux églises agréables à l'Éternel. Il maintint d'ailleurs l'ordre et la règle canoniques tels qu'on les observe dans les plus grandes et les plus riches églises fondées au-delà des monts par des princes pieux ; et si la mort ne l'eût prévenu dans ses projets, il leur eût fait encore de plus riches concessions.

 

Lorsqu'il entreprit son pèlerinage de Jérusalem, ce prince chéri du Seigneur choisit dans des cloîtres bien disciplinés et emmena avec lui des moines, hommes religieux et distingués par la sainteté de leur vie, qui, pendant tout le cours du voyage, de nuit comme de jour, célébrèrent les offices divins en sa présence, selon les lois de l'Église. Lorsqu'il fut devenu roi de Jérusalem, il les plaça, selon leurs désirs, dans la vallée de Josaphat, et leur assigna avec bonté un très-vaste patrimoine. Il serait trop long d'énumérer toutes les choses que ce prince accorda aux églises de Dieu dans sa pieuse libéralité. Le texte même des privilèges qu'il leur fit expédier prouve combien étaient grands tous les sacrifices que fit, en faveur des lieux saints, et pour le salut de son âme, cet homme toujours occupé de la crainte du Seigneur. Après sa promotion , son extrême humilité le porta à ne point vouloir être distingué dans la Cité sainte par une couronne d'or semblable à celle que portent les rois; il se contenta, avec un pieux respect, de cette couronne d'épines que le Rédempteur du genre humain porta dans le même lieu pour opérer notre salut, et qui l'accompagna jusque sur le bois où il subit le supplice. C'est ce qui a fait que quelques personnes qui n'ont pas su reconnaître les vrais mérites, ont hésité à inscrire Godefroi dans la liste des rois de Jérusalem, Quant à nous, il nous paraît non seulement avoir été roi, mais encore le meilleur des rois, la lumière et le modèle de tous les autres. Qu'on se garde de croire que ce prince fidèle méprisât les grâces de la consécration et les sacrements de l'Église ; il ne dédaignait que les pompes du siècle, et la vanité qui subjugue toute créature ; il ne refusa humblement une couronne périssable que pour obtenir ailleurs la couronne qui ne se flétrit point.

 

Vers le même temps, peu après que la ville fut occupée, et tandis que les princes qui J'avaient rendue au culte du Seigneur ne s'étaient point encore séparés, on apprit, de manière à n'en pouvoir douter, que le prince d'Egypte, le plus puissant entre tous les princes de l'Orient, indigné de voir un peuple barbare, accouru des points les plus reculés de la terre, entrer de vive force dans ses États et s'emparer de l'une de ses provinces, venait de convoquer ses troupes dans tous les pays soumis à sa domination, et rassemblait d'immenses armées. Il appela auprès de lui le chef de sa milice, Afdal, autrement nommé Émir, lui ordonna de réunir les forces de l'Egypte et celles de tout son Empire, et de se transporter en Syrie pour faire disparaître ce peuple présomptueux de la surface de la terre, en sorte que son nom même fût effacé de la mémoire des hommes. Cet Émir, qu'on nommait aussi l'Arménien, devait la vie à des parents chrétiens ; mais, séduit par d'immenses richesses, il apostasia en abandonnant son Créateur, et déserta la foi qui fait vivre le juste. Dans le cours de la même année, pendant laquelle les Croisés mirent le siège devant Jérusalem et la rendirent à la religion, chrétienne, il avait reconquis cette ville sur les Turcs, et l'avait remise sous la domination des Égyptiens qui l'avaient longtemps possédée. Son maître n'en jouissait de nouveau et en toute tranquillité que depuis onze mois environ, lorsque l’armée des Croisés, combattant sous la protection du Seigneur, l'arracha à l'injuste servitude sous laquelle elle gémissait. L'émir s'indigna qu'on lui eût enlevé en si peu de temps le fruit de sa victoire, et qu'une si précieuse acquisition n'eût eu qu'une si courte durée. Il accepta avec joie la tâche qui lui fut imposée, espérant bien triompher facilement de ceux qui avaient détruit tout l'éclat de sa première expédition. Il rassembla toutes les forces dont on pouvait disposer dans le pays d'Égypte, tel qu'il était alors organisé, et se rendit eu Syrie, le cœur plein de rage, marchant avec un faste intolérable, et résolu d'exterminer notre peuple, et de détruire jusqu'à son souvenir, Mais le Seigneur qui est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes[10], en avait décidé autrement. Il s'avança donc au milieu d'une magnifique escorte de cavalerie, suivi d'une immense quantité de troupes, et dressa son camp devant Ascalon. D'autres troupes venues en grand nombre de toute l'Arabie et du pays de Damas, s'étaient ralliées à son expédition. Quoique les Turcs, avant cette époque, eussent été fort en désunion avec les Égyptiens, chacune de ces deux nations se méfiant des forces de l'autre, et rivalisant pour obtenir la prépondérance dans l'Orient, la crainte que leur inspiraient les Croisés les rapprocha, sans qu'ils eussent cependant aucun sentiment de bienveillance réciproque : ils se réunirent contre les nouveaux venus qui semblaient chercher à les supplanter, jugeant qu'il leur convenait mieux de supporter leurs prétentions rivales, et même la domination de l'un d'entre eux, que de souffrir plus longtemps sous le glaive féroce et cruel des barbares étrangers. En conséquence, les forces innombrables des Égyptiens, des Arabes et des Turcs, se réunirent en une seule armée, et s'établirent dans les plaines d'Ascalon, se disposant à marcher de là sur Jérusalem, car ils ne pouvaient croire que notre armée osât se porter à la rencontre d'une si grande masse de combattants.

 

Dès qu'ils en furent instruits, les princes, les évêques, le clergé, le peuple entier se rassemblèrent à Jérusalem avec le plus grand empressement. Précédés des armes spirituelles, ils allèrent devant le sépulcre du Seigneur, et, poussant de profonds soupirs, versant des larmes, le cœur contrit, prosternés humblement sur la terre, ils prièrent, demandant à Dieu de délivrer, dans sa clémence, des périls qui le menaçaient, le peuple auquel il avait jusqu'à ce jour, conservé la victoire par un effet de sa miséricorde, le suppliant, pour la gloire de son nom, d'éloigner toute nouvelle souillure des lieux de sanctification qu'il avait daigné purifier. De là, animés d'une fervente dévotion, ils se rendirent, pieds nus, au temple du Seigneur, en chantant des hymnes et des cantiques sacrés, et, épanchant leurs cœurs devant la face du Dieu vivant, ils prièrent encore en disant : « Pardonnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple, et ne laissez point tomber votre héritage dans l'opprobre en l'exposant aux insultes des nations[11]». Après avoir accompli ces cérémonies selon l'usage, reçu la bénédiction des évêques, et fait toutes leurs dispositions pour confier la garde de la ville à des hommes sages et prudents pendant leur absence, le duc de Lorraine partit avec le comte de Flandre, et descendit dans la plaine de Ramla, laissant les autres princes dans la ville. Toutefois, l'illustre Eustache, frère du duc, et Tancrède en étaient sortis par les ordres de Godefroi, pour répondre à l’appel des citoyens de Naplouse qui les avaient invités à venir prendre possession de leur ville sans craindre aucun obstacle. Ils y firent quelque séjour, soit à cause de la richesse du pays, soit pour disposer dans la ville même une garnison suffisante à sa défense, et ignorèrent pendant ce temps ce qui se passait à Jérusalem ; mais le duc les ayant rappelés, ils revinrent aussitôt, et se réunirent aux autres princes. Godefroi cependant et le comte de Flandre, arrivés à Ramla, recueillirent des renseignements plus positifs ; et, dès qu'ils furent assurés que l'émir, à la tête de toutes ses troupes, avait établi son camp auprès d’Ascalon, ils expédièrent un messager en toute hâte pour en prévenir les princes qui étaient demeurés en attendant des nouvelles plus certaines.

 

Le comte de Toulouse et les autres princes dévoués à Dieu ayant appris par le messager du duc l'arrivée de cette innombrable quantité d'ennemis et leur campement dans une position si rapprochée, invoquèrent les secours du ciel, rassemblèrent toutes les forces dont le temps et leur situation leur permettaient de disposer, et se rendirent aussitôt dans le pays des Philistins, au lieu qui s'appelle maintenant lbelin[12] où ils savaient que le duc s était arrêté. Ils avaient avec eux douze cents chevaliers et environ neuf mille hommes de pied. Après que cette petite armée se fut reposée toute la journée, vers la onzième heure du jour on vit au loin dans la plaine un rassemblement considérable; croyant que c'était l'armée ennemie qui s'approchait, le duc envoya en avant deux cents chevaux légers, pour reconnaître l'état et la force de ces troupes, et lui-même se prépara au combat. Les cavaliers s'étant portés vers le point qui leur était indiqué ne tardèrent pas à découvrir que ce qu'ils avaient vu n'était autre chose que d'immenses troupeaux de bœufs, de chevaux et de chameaux. Il y avait auprès d'eux quelques hommes à cheval qui, de même que les bergers, veillaient à la garde de ces animaux. L'armée des Croisés s'avança, et, dès qu'elle fut à portée des troupeaux, les bergers et les cavaliers prirent la fuite en même temps et abandonnèrent tout leur bétail. On fit cependant quelques prisonniers, dont les rapports firent connaître exactement la situation et les projets des ennemis : on sut par eux que le prince qui les commandait avait dressé son camp à sept milles du lieu où l'on se trouvait, qu'il comptait y passer deux jours et se remettre ensuite en marche pour venir détruire l'armée chrétienne. Les chefs aussitôt, certains qu'ils auraient à combattre, divisèrent leurs forces en neuf corps d'armée; trois de ces corps marchèrent en avant, trois autres demeurèrent au centre, et les trois derniers formèrent l'arrière garde; par cette disposition l'ennemi, sur quelque point qu'il attaquât, devait trouver toujours un triple rang de soldats tout prêts à le recevoir. Il était impossible à qui que ce fût de se faire une opinion précise sur la force de l'armée ennemie ; elle formait une multitude innombrable et de jour en jour il lui arrivait de nouveaux renforts. L'immense butin que les Croisés venaient de conquérir, sans éprouver la moindre opposition, excédait aussi toutes les bornes du calcul. Ils s'en réjouirent beaucoup et passèrent la nuit sur le point où ils venaient de s'arrêter ; mais, en gens prudents et qui avaient une grande expérience des lois de la guerre, ils ne cessèrent de veiller et posèrent des gardes tout autour de leur camp. Le lendemain les hérauts annoncèrent de tous cotés les apprêts de la guerre ; les Croisés se formèrent en ordre de bataille, et se recommandant au Seigneur pour en obtenir le succès de leur entreprise, ils se mirent en marche pour apporter vers l'ennemi, plaçant toutes leurs espérances de victoire en celui à qui il est facile de triompher de beaucoup d'hommes avec un petit nombre des siens.

 

Cependant, les Égyptiens et ceux qui s'étaient réunis à eux des diverses parties de la Syrie, voyant nos troupes s'avancer avec ardeur et marcher en toute assurance, plus sages qu'ils ne l'avaient été jusqu'alors, commencèrent à se méfier de leurs forces et à ne plus tant compter sur leur multitude, car ils croyaient que tout ce qu'ils voyaient s’approcher n'était qu'une immense foule de légions ennemies. J'ai déjà dit que l'armée des Croisés était au contraire fort peu considérable. Mais les troupeaux dont j'ai aussi parlé et que nos troupes avaient pris, s'étaient mis à suivre leur marche, sans que personne même ne les conduisît ; ils s'arrêtaient lorsque les Croisés suspendaient leur mouvement, et suivaient spontanément leurs pas lorsqu'ils se remettaient en route. L'armée Égyptienne s'imagina que les Chrétiens traînaient à leur suite des forces innombrables, et en conséquence elle se mit à prendre la fuite, sans être poursuivie, chacun d'entre eux n'osant même espérer de trouver quelque moyen de salut dans cette prompte déroute. On perdit dans cette journée, et par un accident dont les détails sont inconnus, le fauteur de tous les scandales, l'auteur de toutes les séditions, l'évêque de Martura ; personne ne put savoir ce qu'il était devenu ; mais, de quelque manière que la chose soit arrivée, il fut sans doute enlevé de ce monde, puisqu'il ne reparut plus dans la suite. On a dit cependant que le duc l'avait envoyé à Jérusalem, pour mander les princes qui y étaient demeurés, et qu'à son retour, tombé dans les mains des ennemis, il avait été mis à mort selon les uns, et selon d'autres jeté pour toujours dans une prison.

 

L'armée chrétienne, après avoir obtenu la victoire du ciel même, s'empara du camp des Égyptiens; elle y trouva d'immenses bagages et des vivres, et des provisions de voyage en si grande abondance que les Croisés furent bientôt rassasiés jusqu'au dégoût du miel et des gâteaux dont ils se nourrirent ; le plus vil ou le moindre d'entre eux pouvait dire en cette occasion : l’abondance m'a fait pauvre. Ayant ainsi dispersé leurs ennemis et remporté sans aucun effort une victoire complète, les Chrétiens rendant à Dieu d'infinies actions de grâces, retournèrent à Jérusalem, princes et peuple, chargés également de dépouilles et traînant à leur suite un immense butin, tous se réjouissant dans le Seigneur, et se livrant à leurs transports, comme les vainqueurs qui partagent entre eux les trésors qu'il viennent d'enlever.

 

Après cette nouvelle expédition les comtes de Flandre et de Normandie, princes agréables à Dieu, ayant ainsi heureusement accompli le pèlerinage auquel ils s'étaient engagés par leur vœu, firent leurs dispositions pour retourner dans leur patrie. Ils s'embarquèrent et arrivèrent à Constantinople auprès de l'empereur Alexis. Ce souverain les accueillit avec bonté, et leur fit de beaux présents, puis ils se remirent en route, sous la protection du Seigneur et arrivèrent sains et saufs, chacun dans son pays.

 

L'un d'eux, le comte de Normandie, rentré dans ses foyers, trouva ses affaires dans une situation bien différente de celle où il les avait laissées au moment de son départ. Tandis qu'il combattait pour le Seigneur dans son expédition lointaine, son frère aîné, Guillaume, surnommé le Roux, roi des Anglais, était mort sans laisser d'enfants. Le droit de la naissance appelait le comte à lui succéder dans son royaume; mais Henri, son frère cadet, persuada aux princes d'Angleterre que le comte avait été élu roi de Jérusalem, qu'il avait renoncé à revenir dans sa patrie, et cette fraude lui fit obtenir la couronne d'Angleterre. Le comte dès son retour lui demanda avec les plus vives instances de lui céder les droits qui lui appartenaient. Mais le roi ayant absolument refusé de lui donner satisfaction, le comte leva des troupes, équipa une flotte et se rendit en Angleterre, où il débarqua à main armée. Son frère rassembla aussitôt toutes les forces de son royaume, et se disposa à l'attaquer. Les deux rivaux étaient sur le point d'en venir à une bataille, lorsque des médiateurs s'interposèrent et parvinrent à conclure la paix entre eux, sous la condition que le roi paierait chaque année à son frère aîné une certaine somme, qui lui fut allouée à titre de cens. A la suite de ce traité le duc de Normandie retourna tranquillement dans ses Etats. Plus tard il demanda à son frère de lui céder quelques forteresses, que celui-ci possédait en Normandie, même avant d'être devenu roi d'Angleterre. Ce dernier ayant refusé de les livrer, le duc mit le siège devant ces places et chercha à s'en emparer de vive force. Le roi, dès qu'il en fut instruit, passa en Normandie avec une armée considérable, se battit contre son frère, le fit prisonnier et le mit en prison, où il demeura jusqu'à sa mort, époque à laquelle le roi Henri recueillit tout son héritage.

 

Le comte de Saint-Gilles se rendit aussi à Laodicée de Syrie, et quand il y fut arrivé, il renvoya sa femme, en lui promettant de venir bientôt la rejoindre. Il partit pour Constantinople, avec une escorté assez nombreuse, pour faire une visite à l'empereur. Ce prince le reçut avec magnificence, le combla de bontés et lui donna de superbes présents : le comte y demeura deux ans et retourna ensuite en Syrie, où il retrouva sa femme et toute sa maison, ainsi que j'aurai occasion de le dire dans la suite.

 

Pendant ce temps le duc Godefroi garda auprès de lui le noble et illustre Tancrède, le comte Garnier de Gray, ainsi que quelques autres nobles, et continua de gouverner avec autant de prudence que de courage le royaume que Dieu avait confié â ses soins. Il donna et concéda à Tancrède, avec sa libéralité accoutumée, et à titre de propriété perpétuelle et héréditaire, la ville de Tibériade, située sur le lac de Gennésareth, ainsi que toute la principauté de Galilée, et la ville et le territoire de Caïphe, autrement nommée Porphyrie, et située sur les bords de la mer[13]. Tancrède gouverna ce pays avec beaucoup de douceur et d'une manière si digne d'éloges, qu'aujourd'hui encore les habitants de cette contrée donnent des bénédictions à sa mémoire. Il s'occupa avec une grande sollicitude à fonder les églises de ce diocèse, savoir celle de Nazareth, celle de Tibériade et celle du mont Thabor ; il les dota de riches patrimoines et leur donna en outre tous les ornements nécessaires aux maisons de Dieu. Des lieux vénérables perdirent dans la suite une portion considérable de ces dons, par l'effet des fraudes et des calomnies des princes qui succédèrent à Tancrède. Ce qui leur est resté suffit cependant encore à l'entretien de ceux qui les habitent et ils prient constamment pour l'âme de celui qui déploya les trésors de sa pieuse libéralité et de sa tendresse charitable pour les églises du Seigneur. Comme il s'était montré fidèle dans la médiocrité, le Seigneur lui confia de plus grandes choses; il fut admis à connaître les joies du père de famille, et fut payé au centuple de tout ce qu'il avait donné. Deux ans plus tard, Tancrède, appelé à la principauté d'Antioche, en récompense de ses mérites, illustra de plus en plus l'Eglise de cette ville, noble et pleine de gloire depuis le temps des Apôtres, et lui prodigua ses largesses. Il recula aussi de tous côtés les limites de sa principauté, en subjuguant plusieurs villes et s'emparant d'un grand nombre de forteresses, comme on le verra au surplus dans la suite de ce récit.

 

Tandis que toutes ces choses se passaient dans le royaume de Jérusalem, le seigneur Bohémond, prince d'Antioche et le seigneur Baudouin, frère du duc Godefroi et comte d'Edesse, ayant appris par une foule de rapports que leurs frères et leurs anciens compagnons de pèlerinage avaient conquis la Cité sainte avec la protection de l'Éternel, et accompli ainsi l'objet de leur entreprise, convinrent ensemble de prendre jour pour se mettre en route, après avoir fait tous leurs préparatifs de voyage, afin d'aller aussi s'acquitter de leur vœu, en présence du Seigneur, et présenter leurs devoirs fraternels au duc, à Tancrède et aux autres princes. Ces deux seigneurs, illustres et puissants, étaient constamment demeurés l'un à Antioche, pour conserver sa principauté ; l'autre à Edesse, pour protéger son comté contre les invasions des ennemis. Ces dispositions avaient été réglées ainsi aussitôt après la prise d'Antioche, et l'on avait arrêté, dans un sentiment de sollicitude pour l'intérêt général des Croisés, qu'ils demeureraient chacun dans les villes qui leur avaient été livrées par le Seigneur, et qu'ils appliqueraient tous leurs soins et toute leur vigilance à les conserver, de peur que les ennemis ne cherchassent à former de nouvelles armées et à recommencer une guerre qui aurait pu rendre superflus les efforts et les succès antérieurs. Quoique l'un et l'autre fussent constamment occupés, informèrent cependant le projet d'aller accomplir le vœu de leur pèlerinage et en conséquence ils se mirent en route le jour dont ils étaient convenus. Le seigneur Bohémond emmena avec lui tous ceux qui parurent animés des mêmes désirs et partit accompagné d'une grande multitude de gens à pied, et à cheval ; ils arrivèrent ainsi jusqu'à Valénia, ville située sur les bords de la mer, en dessous du château de Margat, et y dressèrent leurs tentes, malgré l'opposition des habitants. Baudouin, qui le suivait de près, le rejoignit en ce lieu, et leurs corps s'étant réunis ils poursuivirent leur route.

 

A la même époque des hommes partis d'Italie venaient de débarquer à Laodicée de Syrie : il y avait parmi eux un homme très-lettré, plein de sagesse et de piété, ami de la vertu et de la probité, le seigneur Daimbert, archevêque de Pise ; on y remarquait encore l'évêque d'Ariano dans la Pouille. Ces nouveaux arrivants vinrent aussi se réunir à la marche des princes d'Antioche et d'Edesse : le nombre des pèlerins se trouva augmenté par ce renfort, et l'on dit qu'il s'élevait alors à vingt-cinq mille individus des deux sexes, marchant tant à pied qu'à cheval. Ils suivirent ainsi leur route, s'avançant toujours sur le bord de la mer, et ne rencontrant que des ennemis dans toutes les villes par où ils passaient ; en sorte qu'ils éprouvaient sans cesse les plus grands difficultés, et souffraient fréquemment du défaut de vivres. Comme ils n'avaient pas la faculté de commercer, et ne trouvaient point à acheter ce dont ils pouvaient avoir besoin, ils eurent bientôt épuisé toutes leurs provisions de voyage. On était en outre au milieu de l'hiver, au mois de décembre, en sorte que la rigueur du froid et les pluies incommodes de la saison réduisirent un grand nombre de pèlerins aux dernières extrémités. Les habitants de Tripoli et ceux de Césarée furent les seuls, sur toute la longueur de la route, qui offrirent, aux Chrétiens des denrées à acheter. Ils continuèrent cependant à souffrir beaucoup du défaut de vivres et de la disette, parce qu'ils n'avaient pas de bêtes de somme ou d'autres animaux qu'ils pussent employer au transport de leurs provisions. Enfin, protégés par la clémence divine, ils arrivèrent à Jérusalem. Le duc, tout le clergé et tout le peuple les accueillirent avec empressement. Ils visitèrent les lieux saints avec toute contrition de cœur, et dans un profond sentiment d’humilité, apprenant enfin de leurs propres yeux ce qu'ils n'avaient su jusqu'alors que par la parole et l'enseignement. Ils célébrèrent dans la sainte Bethléem, le jour de la nativité du Seigneur, et virent la crèche et l'admirable grotte où la mère de Dieu, qui est la porte du salut, enveloppa dans ses langes le Rédempteur du monde, et apaisa de son lait ses premiers cris.

 

Comme jusqu'à ce moment, et depuis cinq mois environ, le siège de Jérusalem était demeuré vacant, et n'avait point de chef qui lui fût spécialement affecté, les princes alors rassemblés résolurent de s'occuper à pourvoir en ce point à l'église de Dieu. Après avoir longuement hésité et délibéré dans les Réunions générales qu'ils tinrent à cette occasion, ils se déterminèrent à placer le seigneur Daimbert sur le siège patriarchal ; car, ce qui avait été fait au sujet d'Arnoul, ainsi que je l'ai déjà rapporté, étant une oeuvre de légèreté et d'imprudence, fut détruit avec autant de facilité que de promptitude. Lorsque l'homme de Dieu eut pris possession de son siège, le seigneur Godefroi et le seigneur prince Bohémond reçurent humblement de lui l'investiture, le premier de son royaume, le second de sa principauté, pensant ainsi rendre honneur à celui dont le patriarche était reconnu le ministre sur la terre. Après cela, ils assignèrent des propriétés au seigneur patriarche, tant celles que le patriarche grec avait possédées au temps des Gentils, depuis la fondation de l'empire grec, que quelques autres encore qui lui furent tout récemment attribuées, afin de soutenir honorablement l'éclat de cette dignité.

 

Ces arrangements terminés, Bohémond et Baudouin prirent congé du duc, pour retourner chacun dans ses États, et descendirent ensuite vers le Jourdain. Ils suivirent les bords de cette rivière, sur toute la longueur de la célèbre vallée, passèrent à Scythopolis[14], et arrivèrent de là à Tibériade. Après y avoir pris des vivres et des provisions pour continuer leur voyage, ils poursuivirent leur marche le long de la mer de Galilée, entrèrent dans la Phénicie du Liban, laissèrent sur leur droite Panéade, qui est la Césarée de Philippe[15], passèrent ensuite dans l'Iturée, et arrivèrent dans le lieu nommé Héliopolis, autrement appelé Balbek. Ils revinrent de là retrouver les bords de la mer, et arrivèrent enfin sains et saufs à Antioche, ayant marché sous la protection de la clémence divine.

 

Pendant ce temps des hommes malintentionnés, qui n'ont jamais à cœur que de susciter des scandales et de se montrer jaloux de la tranquillité des autres, parvinrent, à force de travail et de peine, à faire naître des querelles entre le seigneur patriarche et le seigneur duc. Le premier demanda à celui-ci de lui restituer la cité sainte consacrée à l'Éternel, la citadelle de la ville et celle de Joppé, ainsi que tout son territoire. Il s'éleva à ce sujet une discussion qui se prolongea pendant quelque temps : enfin, comme le duc était humble, d'un caractère doux, et en même temps rempli de respect pour la parole de Dieu, le jour de la purification de la bienheureuse Marie, il résigna le quart de la ville de Joppé en faveur de l'église de la Sainte-Résurrection, en présence du clergé et de tout le peuple. Puis, le saint jour de Pâques suivant, il résigna également entre les mains du patriarche, et en présence du clergé et du peuple, qui s'étaient réunis pour cette solennité, la citadelle de David, ainsi que la ville de Jérusalem et tout son territoire, ne mettant d'autre condition à cet abandon que la réserve d'user et jouir de ces deux villes et de leurs territoires, jusqu'au moment où le Seigneur lui permettrait de s'emparer d'une ou deux autres villes des environs, et d'étendre ainsi les limites du royaume. Il fut encore convenu que, si le duc mourait avant cette époque sans héritier légitime, tous les lieux ci-dessus décrits, reviendraient au seigneur patriarche, sans difficulté ni contestation aucune. J'ai cru devoir rapporter ici tous ces détails, quoiqu'ils soient connus par une infinité de rapports, et qu'ils se trouvent même consignés dans les écrits de quelques personnes, et cependant j'en éprouve un véritable étonneraient, et il m'a toujours été impossible de comprendre quels motifs ont pu porter le seigneur patriarche à susciter ce différend au duc de Lorraine. En effet, je n'ai lu nulle part et n'ai entendu dire à aucun homme digne de foi, que les princes, après leur victoire, aient conféré au duc Godefroi le royaume de Jérusalem, sous la condition qu'il se tînt pour engagé et obligé, envers quelque personne que ce fut, à une prestation annuelle ou perpétuelle, de quelque nature qu'elle soit. Et afin qu'on ne regarde pas ce que je dis ici comme une preuve d'une ignorance honteuse ou d'une négligence impardonnable, je déclare que j'ai recherché avec le plus grand soin et auprès de tout le monde, des renseignements sur la vérité de ces faits, et cela principalement avec l'intention d'en parler dans cet ouvrage, dont j'avais depuis fort longtemps le projet de m'occuper.

 

Il est juste de dire cependant, et il est certain que, dès l'époque de l'entrée des Latins à Jérusalem, comme aussi depuis fort longtemps auparavant, le patriarche de cette ville en avait possédé un quart, à peu près en toute propriété. J'ai voulu savoir comment cette espèce de titre avait été fondée, quels en avaient été le principe et les motifs, j'ai fait à ce sujet de grandes recherches, et comme je suis enfin parvenu à le découvrir, je crois devoir en rendre compte.

 

On voit par les anciennes traditions que Jérusalem, tant quelle fut occupée par les infidèles, ne jouit jamais d'une paix suivie, et n'eut que de courts intervalles de repos. Elle fut constamment en proie aux calamités de la guerre, et aux sièges que les princes voisins venaient lui livrer, dans l'espoir de la réunir à leurs Etats. Ses murailles et ses tours tombant en ruines, autant par vétusté que par suite des nombreuses attaques de ceux qui les avaient assiégées, laissaient la place ouverte en quelque sorte de toutes parts, et exposée aux entreprises secrètes des ennemis. Au temps où le royaume d'Egypte s'éleva au dessus de tous les autres empires de l'Orient ou du midi, tant par ses forces et ses richesses que par sa sagesse temporelle, le calife d'Egypte voulant culer les limites de ses États, et étendre de tous côtés sa domination, envoya ses armées en avant et s'empara de vive force de toute la Syrie, jusqu'à Laodicée, ville voisine d'Antioche, et limitrophe de la Coelé-Syrie. Il nomma des gouverneurs qui furent chargés de commander dans les villes maritimes et dans celles qui se trouvaient au milieu des terres y établit des impôts, rendit toute cette contrée tributaire, et prescrivit aux habitants de chaque localité de relever leurs murailles, et de Construire de fortes tours dans l'enceinte des remparts. Pour se conformer à cet ordre général, le gouverneur qui commandait alors à Jérusalem força tous les habitants à obéir aux mêmes injonctions, et à remettre en bon état leurs murailles et leurs tours. Lorsqu'on distribua ce travail à tous les citoyens, il arriva, bien plus par une œuvre de méchanceté que par suite d'un examen exact et comparatif des ressources de chacun, que le quart des constructions à faire fut assigné aux malheureux chrétiens qui habitaient dans cette ville. Déjà les fidèles se trouvaient tellement écrasés sous le poids des corvées ordinaires et extraordinaires, des impôts, des tributs, et de toutes sortes d'autres prestations ou charges également honteuses qu'on exigeait d'eux, que toutes leurs richesses réunies eussent à peine suffi pour faire reconstruire une ou deux de ces tours. Voyant qu'on ne cherchait que les occasions de les accabler, et n'ayant cependant aucun autre refuge, ils allèrent trouve le gouverneur en pleurant, et le supplièrent de ne leur imposer que le fardeau qu'il leur serait possible de supporter, déclarant qu’ils se trouveraient entièrement hors d'état de suffire à la tache qui leur avait été assignée ; Mais le gouverneur les fit chasser de sa présence, en rendant contre eux une cruelle décision, par laquelle il leur annonça que c'était un sacrilège de violer les édits du prince souverain : « En conséquence, ajouta-t-il, ou vous vous acquitterez du travail qui vous a été donné, ou vous succomberez sous le glaive vengeur, comme coupables du crime de lèze-majesté». Enfin, à force d'intercessions et à l'aide de quelques présents ils obtinrent un délai du gouverneur, jusqu'à ce qu'ils eussent pu envoyer des députés à l'empereur de Constantinople, à l'effet d'implorer sa charité, et d'en solliciter des aumônes pour parvenir à l'accomplissement de leur ouvrage.

 

Les députés nommés pour remplir cette mission se rendirent auprès de ce prince, et lui exposèrent aussi fidèlement qu'il leur fut possible le sujet des gémissements et des larmes du peuple fidèle ; leur récit excita l'attendrissement chez tous les auditeurs. Ils racontèrent en détail tout ce que le misérable peuple avait à souffrir sans relâche pour l'amour du nom du Christ ; ils parlèrent des soufflets et des crachats qu'ils recevaient, des fers dont ils étaient chargés, des prisons où on les plongeait, des violences par lesquelles on leur arrachait leurs biens, des supplices qu'on leur faisait subir sur la croix ou d'autres manières ; ils rapportèrent enfin la persécution suscitée tout récemment au menu peuple, et qui n'était qu'une nouvelle invention pour le détruire entièrement. Le seigneur Constantin, surnommé Monomaque, homme sage et puissant, portait alors le sceptre de l'empire, et gouvernait ses États avec autant de force que de valeur. Il accueillit favorablement les supplications des fidèles, leur promit de l'argent, afin qu'ils pussent s'acquitter de la tâche qu'on leur imposait, et se montra ému d'une charitable compassion pour les maux qui les affligeaient si constamment. Il voulut cependant mettre une condition à ses largesses, et leur déclara qu'ils n'en ressentiraient les effets qu'à la charge d'obtenir une concession de la part du prince qui les gouvernait, et cette concession devait être que ce prince consentît à ce que désormais il n'y eût que des Chrétiens qui fussent autorisés à habiter dans l'enceinte des murailles qui seraient relevées avec le produit des aumônes impériales. En même temps, l'empereur écrivit aux habitants de l'île de Chypre pour leur donner ordre, dans le cas où les fidèles de Jérusalem obtiendraient l'autorisation exigée, de leur compter, sur le produit des impôts et des revenus du fisc, tout l'argent qui leur serait nécessaire pour parvenir à faire la portion d'ouvrage qu'on leur avait demandée.

 

Les députés retournèrent chez eux, et rapportèrent en détail au seigneur patriarche et au peuple de Dieu, le résultat de leur voyage : tous les écoutèrent avec joie, et, acceptant les conditions qu'on leur proposait, ils s'occupèrent, dès ce moment, avec le plus grand zèle, d'obtenir le consentement de leur souverain aux arrangements que l'empereur avait exigés. En conséquence, ils envoyèrent d'autres députés à leur prince, le grand calife d'Egypte ; ceux-ci, soutenus par la faveur divine, obtinrent de lui ce qu'ils étaient allés lui demander, et reçurent même un acte de concession, revêtu de la signature et du sceau de ce prince. Après avoir heureusement terminé leur négociation, ils retournèrent à Jérusalem, et les Chrétiens achevèrent alors, avec l'aide du Seigneur, la portion de murailles qui leur avait été assignée. Cet événement arriva l'an de grâce mille soixante trois, trente six ans avant la délivrance de la ville, sous le règne du calife égyptien Bomensor Elmostensab[16].

 

Jusqu'à cette époque, les Sarrasins avaient habité pêle-mêle avec les Chrétiens. Dès qu'ils reçurent les ordres de leur prince, ils furent forcés de se transporter dans d'autres quartiers de la ville, et d'en abandonner un quart aux fidèles sans contestation. Les serviteurs du Christ se trouvèrent dès lors dans une situation beaucoup meilleure. Leur cohabitation avec les enfants de Bélial était une source perpétuelle de querelles, et leur attirait des vexations de tout genre. Ils vécurent beaucoup plus en repos dès qu'ils se trouvèrent séparés de cette mauvaise ivraie. S'ils avaient entre eux quelque différend, ils s'en rapportaient à la décision de l'Église, et toutes, leurs contestations étaient jugées selon le libre arbitre du seigneur patriarche qui les gouvernait. Depuis ce jour, et par les, motifs que je viens de rapporter, un quart de la ville de Jérusalem ne reconnut d'autre juge et d'autre seigneur que le patriarche, et l'Eglise s'attribua à jamais cette portion de la Cité sainte, comme lui appartenant en propriété. Voici comment cette partie de la ville était formée : d'un côté, elle était bornée par l'enceinte du mur extérieur, depuis la porte de l'occident, dite porte de David, jusqu'à la porte du nord, appelée porte du premier martyr Etienne en passant par la tour angulaire qui se nomme maintenant tour de Tancrède; à l'intérieur, elle avait pour limite la voie publique, qui s'étend en droite ligne depuis cette dernière porte jusqu'au bureau des changeurs de monnaie, et va de là rejoindre la porte de l'occident. Cet espace contient le lieu vénérable de la Passion et de la Résurrection du Seigneur, la maison de l'hôpital, les deux monastères d'hommes et de femmes, appelés l'un et l'autre monastères de la langue Latine, la maison du patriarche et le couvent des chanoines du Sépulcre, avec toutes ses dépendances.

 

Déjà la plupart des princes qui avaient conduit les troupes de pèlerins étaient retournés dans leur patrie ; le duc de Lorraine, à qui le royaume de Jérusalem avait été confié, y demeurait seul avec le seigneur Tancrède, qu'il avait retenu comme un homme sage, heureux et vaillant, et partageait avec lui toute la sollicitude des affaires. A cette époque, ces princes n'avaient que de faibles ressources, à tel point qu'en convoquant et réunissant tous ceux qui étaient en état de porter les armes, ils eussent trouvé tout au plus, trois cents chevaliers et deux mille hommes, de pied. Il n'y avait aussi qu'un petit nombre de villes qui se fussent soumises à leur domination, et celles-là même étaient tellement placées dans le pays au milieu des ennemis, que l'on ne pouvait communiquer de l'une à l'autre, lorsque la nécessité l'exigeait, sans courir les plus grands dangers. Les campagnes, même sur les territoires qui leur appartenaient, étaient toutes cultivées par les infidèles et les Sarrasins ; notre peuple n'avait pas d'ennemis plus cruels, d'autant plus mauvais que c'étaient pour lui des ennemis domestiques, et que ceux-là sont la peste ]a plus redoutable, puisqu'ils sont plus h portée de nuire. Ils tuaient sur les chemins publics ceux des nôtres qui sortaient sans précaution, ou les faisaient prisonniers, pour les livrer comme esclaves aux ennemis; bien plus, ils refusaient de travailler aux champs, afin d'affamer les Chrétiens, se résignant eux-mêmes à souffrir de la faim, plutôt que de procurer quelques avantages à ceux qu'ils poursuivaient de leur inimitié. Et ce n'étaient pas seulement ceux qui sortaient des villes qui avaient à se tenir en garde sur tous les chemins qu'ils suivaient : dans les maisons même et dans l'intérieur des remparts, à peine trouvait-on une place où l'on pût reposer en sûreté, tant parce que les habitants peu nombreux se trouvaient fort disséminés, que parce que les murailles, détruites et tombant en ruines, présentaient un accès facile à tous les ennemis. Pendant la nuit des voleurs entraient secrètement, ou renversaient les obstacles qu'ils rencontraient, pénétraient sans peine dans les villes presque dégarnies d'habitants, et attaquaient beaucoup de chrétiens jusque dans leurs maisons, il en résultait que quelques-uns d'entre eux abandonnaient en secret, et d'autres même ouvertement, les propriétés qu'ils avaient acquises, et s'en retournaient dans leur pays, jugeant que tôt ou tard ceux qui faisaient tous leurs efforts pour défendre cette nouvelle patrie seraient écrasés par leurs ennemis, sans que personne pût parvenir à les soustraire au désastre qui les menaçait. Ces émigrations provoquèrent l'édit par lequel la prescription annuelle fut établie, pour favoriser les intérêts de ceux qui persévérant dans leurs efforts de patience, auraient conservé sans contestation et sans trouble une propriété quelconque pendant un an et un jour. Il fut rendu en haine de ceux que la crainte poussait à abandonner leurs possessions, afin que s'ils revenaient plus d'une année après leur départ, ils ne fussent plus admis à revendiquer ce qu'ils avaient laissé.

 

Malgré les diverses calamités et la détresse qui affligeaient le royaume, le duc agréable au Seigneur, et toujours rempli de sa crainte, ne laissa pas d'étendre les limites de ses États, à l'aide de la protection divine. Il convoqua des troupes auxiliaires et le peuple chrétien de la contrée, et alla mettre le siège devant la ville maritime, anciennement appelée Antipatris, voisine de celle de Joppé, et qu'aujourd'hui l'on nomme vulgairement Arsur. Mais elle était défendue par des hommes forts et vaillants, qui avaient en abondance des armes, des vivres et toutes les choses nécessaires pour soutenir une attaque de ce genre ; le duc au contraire, dénué de ressources, réduit à toutes sortes de privations, et surtout n'ayant point de vaisseaux à sa disposition pour empêcher les assiégés de sortir de la place et d'y rentrer librement, se vit enfin forcé de lever le siège et d'attendre du temps et de la protection divine une occasion plus favorable à l'accomplissement de ses projets ; sa mort prématurée s'opposa à leur exécution.

 

Il arriva dans le cours de ce siège un événement qui mérite bien d'être transmis à la postérité, et que je m'empresse de rapporter.

 

Du haut des montagnes de Samarie, où est située la ville de Naplouse, quelques petits rois de ces campagnes descendirent vers la plaine d'Antipatris, portant avec eux des présents en pain et en vin, en figues et en raisins cuits au soleil, bien plus, à ce que je pense, dans l'intention de reconnaître de plus près les forces, le nombre et la situation des assiégeants, que pour offrir quelques cadeaux au duc qui les commandait. Arrivés auprès de l'armée chrétienne, ils demandèrent avec les plus vives instances à être présentés à ce prince, et admis devant lui, ils lui offrirent en effet les choses qu'ils avaient apportées. Godefroi, toujours humble et méprisant la pompe du monde, était assis sur un sac rempli de paille et posé par terre, et attendait le retour de ceux qu'il avait envoyés fourrager dans les environs. Les étrangers, frappés d'étonnement en le voyant dans cette position, demandèrent « pourquoi un si grand prince, un seigneur si digne d'admiration, qui, venu du fond de l’Occident, avait ébranlé tout l'Orient, et dont le bras vigoureux venait de conquérir un vaste royaume, était ainsi couché obscurément et sans gloire, sans avoir ni tapis, ni vêtements de soie, selon l'usage des rois, et sans être entouré d'une foule de satellites armés qui le rendissent formidable à tous ceux qui voudraient s'approcher de lui ». Lorsqu'ils eurent cessé de parler, le duc s'informa de ce qu'ils avaient dit, et l'ayant appris, il répondit que la terre était bien suffisante pour fournir un siège momentané à l'homme mortel, puisqu'après sa mort elle deviendrait sa résidence perpétuelle. Ceux qui étaient venus pour le tenter furent remplis d'admiration en entendant ces paroles, et en voyant tant d'humilité réunie à tant de sagesse, ils se retirèrent en disant : « Cet homme est vraiment celui qui doit conquérir tous les pays, et à qui il a été donné, pour prix de ses mérites, de gouverner les peuples et les nations ». Les habitants des contrées limitrophes admiraient et redoutaient à la fois le courage du prince pèlerin et les succès de son peuple ; ces sentiments se développèrent en eux avec plus de force, lorsqu'ils entendirent ces détails de la bouche même de ceux en qui ils devaient avoir toute confiance, et bientôt la renommée publia le récit de cet événement jusque dans les régions les plus reculées de l'Orient.

 

Vers le même temps, un certain homme, nommé Gabriel, Arménien de naissance, et gouverneur de la ville de Melitène[17], située au-delà de l'Euphrate, dans la Mésopotamie, craignant une invasion des Perses, et ne pouvant supporter plus longtemps leurs vexations, envoya des députés à Bohémond, prince d'Antioche, pour l'inviter à se rendre auprès de lui sans le moindre retard, lui proposant, moyennant certaines conditions, de lui livrer immédiatement la ville où il commandait ; Le puissant Bohémond accepta les offres qui lui étaient adressées, et se mit en mesure de répondre promptement à cet appel ; il emmena avec lui la troupe qui lui servait ordinairement d'escorte, passa l'Euphrate, et entra en Mésopotamie. Déjà il n'était plus qu'à une petite distance de la ville de Mélitène, lorsqu'un des plus puissants satrapes turcs, nommé Damisman, qui avait eu avis de son passage, se précipita sur lui, et l'attaqua tout-à-fait à l'improviste ; quelques-uns de ses soldats, surpris ainsi au moment où ils ne s'y attendaient nullement, succombèrent sous le fer de l'ennemi ; les autres, incapables de résister longtemps à ce choc inattendu, prirent la fuite, et Bohémond lui-même fut fait prisonnier et chargé de fers, en punition de ses péchés. Enorgueilli d'un tel succès, et plein de confiance à la vue de la nombreuse armée qu'il traînait à sa suite, Damisman continua sa marche, investit la ville de Mélitène, et espéra s'en emparer en peu de temps pour son propre compte. Cependant les Chrétiens, qui avaient trouvé moyen d’échapper au danger par la fuite, se rendirent à Edesse, et rapportèrent au comte Baudouin tout ce qui leur était arrivé, ainsi qu'à leur prince. A ce récit, le valeureux Baudouin, ému d'une compassion toute fraternelle pour les maux du prince d'Antioche, et redoutant dans le fond du coeur les suites de ce malheureux événement, convoqua ses troupes en toute hâte, fit ses préparatifs de départ, et se mit en route très-promptement. On dit que la ville de Mélitène est à trois journées de marche d'Edesse ; Baudouin franchit rapidement cette distance, et déjà il approchait de la ville lorsque Damisman, instruit qu'il ne pouvait tarder d'arriver, leva brusquement le siège, et emmenant avec lui le seigneur Bohémond, qu'il retenait toujours dans les fers, se retira vers la partie la plus reculée de ses États, pour ne pas courir les chances d'une bataille. Le comte, dès qu'il eut appris son mouvement de retraite, se mit à sa poursuite et marcha sur ses traces pendant trois jours ; mais voyant qu'il ne pouvait l'atteindre, il retourna sur ses pas, et se rendit à Mélitène, le gouverneur le reçut avec les plus grands honneurs, le traita magnifiquement, et lui remit la ville, aux mêmes conditions qu'il avait auparavant proposées à Bohémond ; après quoi Baudouin retourna à Edesse.

 

Cependant l'illustre Godefroi, et tous ceux qui étaient demeurés avec lui au moment du départ des Croisés, pour veiller à la garde du royaume de Jérusalem, souffraient toutes sortes de privations, et étaient affligés d'une pauvreté dont il serait presque impossible de rendre compte. Quelques-uns de leurs éclaireurs, dont les rapports méritaient toute confiance, vinrent leur annoncer qu'il y avait en Arabie, au-delà du Jourdain, et dans le pays des Ammonites, des bandes d'Arabes, qui paraissaient ne point se tenir en état de défense, et ils ajoutèrent qu'on pourrait, en les attaquant à l'improviste, leur enlever un immense butin. Le duc, cédant à leurs instances, convoqua le plus secrètement possible toutes les troupes d'infanterie et de cavalerie qu'il put trouver dans son royaume, passa le Jourdain, entra sur le territoire ennemi, exécuta son entreprise avec un plein succès, et se remit en marche, ramenant à sa suite de nombreux troupeaux de gros et de menu bétail, et une grande quantité de prisonniers de guerre.

 

Tandis qu'il était en route, un noble prince arabe, illustre au milieu de son peuple, homme habile dans la science militaire et passionnément occupé de tout, ce qui s'y rapportait, lui adressa des députés qui vinrent demander la paix, et s'avança bientôt lui-même, entouré d'une belle escorte de nobles de la même nation. Il connaissait par de nombreux rapports le courage et la gloire de ce peuple chrétien, qui était accouru des limites de l'Occident, et qui, après avoir franchi une si grande étendue de pays et supporté tant de fatigues, venait enfin de conquérir tout l'Orient ; surtout on lui avait parlé de la bravoure remarquable du duc Godefroi et de sa force extraordinaire, et ces récits lui avaient inspiré le plus vif désir de le voir. L'Arabe s'avança donc vers le duc en lui donnant toutes les marques de respect, et après lui avoir adressé les paroles de salutation qu'il crut lui devoir, il lui demanda avec les plus vives instances de daigner, en sa présence même, frapper de son glaive un très-grand chameau qu'il avait fait conduire dans cette intention, afin, dit-il, de pouvoir lui-même rendre témoignage de sa force devant les hommes de sa nation. Comme il était venu de très-loin, uniquement pour le voir, le duc acquiesça à ses désirs, et, tirant son glaive, il fit tomber la tête du chameau avec autant de facilité que si on lui eût demandé de briser un objet fragile. L'Arabe, à cette vue, demeura frappé d'étonnement mais, après un moment de réflexion, il crut pouvoir attribuer l'effet d'une force si prodigieuse au tranchant de l’épée que le duc portait sur lui. Il lui demanda la permission de lui parler en particulier, et s'informa alors si Godefroi pourrait faire la même chose avec l'épée d'une autre personne. Souriant à cette question, le duc se fit aussitôt donner l'arme que portait le noble Arabe, et ordonnant qu'on lui amenât un autre chameau, il lui abattit la tête avec tout autant de facilité. A cette seconde épreuve, l'étranger ne put plus contenir son admiration, et manifesta un extrême étonnement, convaincu comme il le fut dès lors que la force des coups résidait dans la main du guerrier bien plus que dans la trempe de son fer. Persuadé de la vérité des rapports qu'on lui avait faits, l'Arabe offrît à Godefroi des présents en or, en argent, en chevaux, et gagna sa bienveillance ; puis, étant retourné dans son pays, il se fit le héraut des exploits qu'il avait vus et parla à tous ceux qu'il rencontra de la force extraordinaire du duc. Celui-ci se remit en même temps en route, et rentra à Jérusalem avec tout son butin et ses prisonniers.

 

[1100] On était au mois de juillet : le seigneur Godefroi, cet excellent souverain du royaume de Jérusalem, tomba malade, et fut bientôt dangereusement menacé. Tous les remèdes furent inutiles ; son mal empira de jour en jour ; Il reçut le viatique du salut et, dévot pénitent, sincère confesseur du Christ, il entra dans la voie de toute chair pour aller recevoir une rétribution centuple, et jouir de la vie éternelle au milieu des esprits bienheureux. Il mourut le 18 juillet, l’an 1100 de l'incarnation de Notre Seigneur. Il fut enseveli dans l'église du Saint-Sépulcre, au dessous du Calvaire, où Notre-Seigneur a souffert la passion ; et ce lieu a été dès lors, et jusqu'aujourd'hui, consacré à la sépulture des princes qui lui ont succédé.

 


[1] Martorano , dans la Calabre citérieure, au sud de cosenza.

[3] Evang. sel. S. Luc. chap.9, v. 62

[4] Isaïe, chap. 52, v. 1

[5] Godefroi-le-Bossu.

[6] Voir l'histoire de cette Croisade par Albert d'Aix.

[7] Duc do Souabe, beau-frère de l'empereur Henri iv.

[8] En 1087.

[9] A Wolksheim, près de Géra, dans la Thuringe.

[10] Psaume 65, v. 4

[11] Joel , chap. 2, v. 17.

[12] Iabne dans les livres saints, et plus tard Iamina ; aujourd'hui Yebna, à trois lieues de Ramla, vers le sud-ouest, et sur un ruisseau de même nom.

[13] Kaïfa, Kepha ou Hepha , était comme le port de Saint-Jean-d'Acre. Pococke croit que c'est la Calamon, et Bachiène la Sycaminou des Grecs.

[14] L'ancienne Beitthséan, qui n'est plus aujourd'hui qu'un petit fort nommé El-Beysan. Les Grecs lui donnèrent le nom de Seythopolis, parce qu'elle fut assez longtemps occupée, à la suite d'une invasion , par une de ces peuplades errantes qu'ils appelaient du nom de Seythex,

[15] Elle reçut ce nom do Philippe, le plus jeune fils d'Hérode, à qui son père en avait fait don.

[16] Abou-Tamin-Mostanser-Billah, cinquième calife Fatimite d'Egypte, qui régna de l'an de Jésus-Christ 1036 à l'an 1094.

[17] Malathiu.

 

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