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Mondialisation, Dialogue et Religion
Dr. Antoine Bakhos Daher
projet final du cours optionnel a
la faculté d'étude islamo-chrétienne USJ
Introduction
"L’homme ne vit pas seulement de pain", mais aussi (surtout ?) de ces "valeurs" spirituelles qu’aucun raisonnement scientifique ne peut à lui seul fonder mais qui sont nées au fil des siècles dans le "cœur" de l’homme. C’est peu dire qu’aujourd’hui l’homme, esclave d’un matérialisme desséchant, est assoiffé de "spirituel". La fuite dans les sectes les plus échevelées ou dans le fondamentalisme religieux le plus rigoureux en sont hélas les conséquences les plus visibles et les plus négatives. Ce que l’on a pu appeler le "retour du religieux" est gros d’un retour à l’obscurantisme, à l’Ordre moral, et à l’oppression politique. La "guerre" que veut mener aujourd’hui l’Occident contre le "terrorisme international" n’est pas plus une guerre du Bien contre le Mal que ne l’est la Djihad engagée par les islamistes contre un Occident vautré dans le consumérisme. Il s’agit en réalité d’une lutte entre deux idéologies totalitaires qui voit s’affronter deux intégrismes : celui d’un système économique qui se présente comme le seul et unique modèle de société fondé sur un seul modèle de développement, engendrant une seule culture, une seule civilisation et prétendant s’étendre à la planète entière. Et celle d’une religion monothéiste, aujourd’hui l’islam, qui se présente comme la seule vraie et doit engendrer un seul type de société et n’a de cesse que de conquérir l’humanité entière (fut-ce au prix du suicide de ses fidèles) ?
C’est peu dire que le monde a besoin d’un sursaut spirituel et que les êtres humains sont assoiffés de "sens". Mais dans un monde où la mondialisation d’une pensée unique a enfermé les hommes dans le cercle vicieux d’une économie entièrement dévouée au Dieu Argent, ce nouveau Dieu unique auquel tout un chacun doit se soumettre, on peut légitimement se demander si la première urgence pour les croyants de toutes les religions n’est pas d’abord de s’unir par delà leurs croyances ou leurs dogmes face à un libéralisme matérialiste croissant qui envahit le monde et écrase les hommes, bref, de "libérer le spirituel du religieux."
Ne serait-ce pas l’analyse lucide et rationnelle de l’état actuel de la planète et des peuples qui l’habitent, où 20% des humains consomment à eux seuls 80% des richesses de la planète ? Ne serait-ce pas le rassemblement politiquement structuré de ceux qui, devant les conclusions de cette analyse, se décideraient à inverser l’actuel courant d’une pensée unique meurtrière et aveugle qui a fait de l’Argent le nouveau Dieu unique et la planète ?
Il serait naïf de penser qu’une transformation de la relation islamo-chrétienne peut se réaliser uniquement à partir des progrès de la réflexion théologique, mais c’est un engagement pour la vérité, paix , et justice. Chrétiens et musulmans représentent dans le monde les deux plus grandes communautés de croyants. Dans la plupart des pays d’Afrique et d’Asie et dans beaucoup de pays d’Europe ainsi qu’en Amérique du Nord, des communautés chrétiennes ou musulmanes sont, entre elles, dans la société en situation minoritaire ou majoritaire, selon les régions et les continents. Les tensions, voire les conflits, sont inévitables. Ils n’ont cessé de marquer la relation islamo-chrétienne plus ou moins gravement selon les années, au Soudan, au Liban, aux Philippines, en Azerbaïdjan, au Tchad, au Nigeria, en Indonésie, en Bosnie, au Kosovo, en Tchétchénie etc. Des luttes politiques comme celles de l’Afghanistan avec l’Union Soviétique, de l’Etat d’Israël avec les Palestiniens, de l’Irak avec la coalition rassemblée par les U.S.A. etc. ont eu des répercussions considérables sur la relation islamo-chrétienne. Dans la plupart de ces situations de conflit le Pape, le Saint Siège ou le Conseil Œcuménique ont pris des positions susceptibles de servir la réconciliation et la paix. Mais les faits sont têtus pour ouvrir l’année jubilaire avec toutes les religions, le Saint Père, avec le C.P.D.I. (le conseil pontifical pour le dialogue islamo-chrétienne), avait organisé, à Rome, une rencontre inter-religieuse au niveau mondial. Elle s’est déroulée dans une ambiance remarquable de fraternité responsable et a publié un communiqué très ouvert. Mais cette rencontre à peine terminée, un conflit surgissait à nouveau à Nazareth à propos de la construction d’une mosquée, juste devant la basilique chrétienne de l’Annonciation. Les concertations au sommet ne supprimeront pas les difficultés locales. Elles devraient, au moins, permettre de régler plus facilement les problèmes particuliers. Cette évocation rapide des lieux de conflit rend évidente la nécessité d’un engagement permanent pour la Vérité, la Justice et la Paix, entre chrétiens et musulmans, partout dans le monde. Les évolutions présentes du monde avec les pressions économiques et politiques du Nord sur le Sud, ainsi que la mondialisation économique et culturelle, donnent de nouveaux motifs de tension et tiennent leur place dans les réflexes identitaires dont l’islamisme est le plus remarquable.
1. Rencontre islamo-chrétienne
Dans le passé la théologie catholique avait, trop longtemps, limité son attention aux seuls dons que Dieu faisait aux catholiques eux-mêmes. Pour que puisse se développer une vraie rencontre islamo- chrétienne, il fallait une nouvelle lecture théologique de la situation devant Dieu du croyant musulman. Dans une vision des choses où trop souvent le monde religieux était partagé entre fidèles et infidèles, il était impossible de développer une relation respectueuse entre chrétiens et musulmans. Le P. Danielou a mis en œuvre, dans plusieurs de ses ouvrages, une intuition féconde pour la réflexion, dans le domaine qui nous concerne, celui de la relation islamo-chrétienne. Il s’efforçait de découvrir le don de Dieu au-delà des limites du peuple de la Bible déjà rassemblé. C’est ce qu’il fit dans plusieurs petits ouvrages, notamment « le Mystère du salut des nations » 1 (1946), ou « Saints païens de l’Ancien Testament » 2 (1956). Les ouvrages du P. de Lubac comme par exemple son « le Mystère du surnaturel »3 et dans l’œuvre de Karl Rahner 4(1983). Mais la réflexion de ces théologiens et de beaucoup d’autres auront une place importante dans la préparation des thèmes théologiques majeurs de Vatican II. Le renouvellement du regard chrétien sur les non-chrétiens a été déterminant pour une nouvelle approche de la rencontre. A la même époque, Yoakim Moubarac, prêtre libanais maronite, cherchait aussi une nouvelle situation théologique pour l’Islam à travers son étude sur « Abraham dans le Coran ».5 Ainsi s’annonçait une recherche qui s’efforçait de donner une place à l’Islam dans l’histoire du salut. C’était le signe d’une attention positive au patrimoine spirituel de l’islam. Après la publication du Décret Nostra Aetate de Vatican II, un nouveau champ s’ouvrait à l’action non seulement de l’Eglise Catholique, mais aussi à celle du Conseil Œcuménique des Eglises et même à celle de certaines des Eglises du Moyen-Orient. La période post-conciliaire est marquée avec deux petits ouvrages plus spirituels que théologiques, mais qui indiquent la direction qu’allait prendre la réflexion des acteurs de la rencontre islamo-chrétienne. Il s’agit des deux ouvrages du P. Serge de Beaurecueil, « Nous avons partagé le pain et le sel »6 (1965) et « prêtre des non chrétiens »7 (1968). La réflexion naissait, d’une vraie rencontre du chrétien avec ses partenaires musulmans. Le Conseil Pontifical pour le dialogue inter-religieux, allait avoir une influence importante sur la réflexion. Cette réflexion serait jalonnée notamment par la publication des « Orientations pour le dialogue islamo-chrétien (l° édition 1970, 2° édition revue et élargie par Maurice Borrmans8 en 1981). On s’acheminait vers une nouvelle théologie de la mission avec deux documents successifs, « Dialogue et Mission »9 (1984) et « Dialogue et Annonce » 10(1991). Il fallait ouvrir le regard chrétien à l’ensemble des religions du monde par une nouvelle approche théologique. Dans tous ces débats les musulmans étaient moins préparés à s’engager dans un dialogue avec les autres religions. Ils étaient préoccupés avec des urgences d’ordre politiques tel que la crise palestienne et des crises économiques. L’église était consciente de l’importance d’un dialogue inter-religion et de la difficulté d’une relation théologique avec les musulmans. Le père Jacque Jomier dit : ‘”Although Islam has a threefold aspect (religious, political and cultural), it is the cultural aspect which has been selected by preference by those interested in dialogue. A dialogue can be established when Christians and Muslims work side by side on the cultural level. But the civic domain (part of the political aspect) can also provide a field for collaboration, as the Vatican II declaration regarding non-Christians suggests. This declaration exhorts Christians and Muslims: ‘To forget the past and to promote together, for the benefit of all mankind, social justice and moral welfare, as well as peace and freedom”.
Depuis Vatican II, les colloques ou rencontres islamo-chrétiennes se sont multipliés (Genève-Cartiny 1967, Accra 1974, Cordoue I 1974, Tunis 1 1974, Tripoli 1976, Cordoue II 1977 etc.). Chaque grande région islamo-chrétienne a suscité ainsi des occasions de rencontre. Du coté catholique, ces rencontres ont souvent culminé avec des voyages du Pape, dont le plus remarquable fut celui de Casablanca en 1985 avec la rencontre de 80.000 jeunes rassemblés par Hassan II. L’Institut d’Etudes Islamo-chrétiennes de Beyrouth a publié un instrument remarquable pour l’étude des communiqués à la fin de chacune de ces rencontres11 The Mu’tamar al-‘alam al-Islami (World Muslim Congress) entre dans un programme de dialogue avec le conseil international des églises. Dans l’année 1982 la première rencontre déroulait à Colombo. « Chrétiens et musulmans vivent et travaillent ensemble ». La rencontre était organisée face à l’occupation du l’Union Soviétique d’Afghanistan qui a crée un large épisode de réfugiées vers le Pakistan .le rapport final demande d’éliminer les obstacles pour une coopération à la faveur des victimes.
Le ‘new world order’ avec Huntington” Clash of Civilisation” ouvrent les yeux des musulmans qui étaient jusqu’au moment des participants passives à la dialogue. Ils sont devenus alertes à l’hypothèse de la “clash”. Il y avait ceux qui cherchaient l’ennemi, d’autres qui vont prévenir le “clash". Et entre les deux il y avait ceux qui se demandaient est-ce vrai ? Tous les groupes deviennent intéresses dans le dialogue aujourd’hui des pays comme l’Arabie Saoudite, Kuwait, Jordan, Turkey, Indonisea, Morocco, Iran sont engagés dans le dialogue de la culture et la civilisation. la réalité de dialogue islamo-chrétien comme nous le trouvons a crée beaucoup des points de dialogue sur les 50 années passées mais pas assez des lignes , d’où la nécessite d’engagement dans un dialogue approfondi qui relie les différentes points et lignes. Les terrains de ce dialogue se trouve sur tous les continents et dans les situations les plus diverses : problème palestinien, guerre du Golfe, etc. Ces efforts doivent se poursuivre. Ils rapprochent les personnes, et permettent la naissance de nombreuses amitiés islamo-chrétiennes, enracinées dans les combats consentis en commun.
Toute religion digne de ce nom enseigne l'amour pour le prochain. Il est vrai que la dimension d'une religion est verticale : l’attention à Dieu Mais la dimension horizontale de la religion : accepter et respecter les autres personnes. Il est préférable pour l'humanité que les fidèles des diverses religions soient convaincus qu'il est nécessaire pour eux de voyager ensemble sur cette route qui conduira à la paix. Cette route est marquée par l'acceptation de la réalité de l'interdépendance entre les peuples lorsqu'elle est librement accueillie et généreusement vécue. Dans l'une de ses résolutions sur le dialogue entre les civilisations, l'Assemblée générale des Nations unies a souligné que "les civilisations ne sont pas limitées aux simples Etats-nations, mais qu'elles embrassent plutôt les diverses cultures au sein d'une même civilisation et (...) ces résultats de la civilisation constituent l'héritage collectif de l'humanité, qui offre une source d'inspiration et de progrès à l'humanité dans son ensemble" (Résolution 55/23). En reconnaissant la pluralité des cultures et des civilisations du monde et la relation qui existe entre elles, la communauté mondiale a admis le rôle vital que la culture, doit remplir pour promouvoir la paix et l'harmonie. Nous avons déclaré que la paix et l'harmonie ne peuvent résulter que de la compréhension et de la tolérance. Du fond de son coeur, l'homme tente de découvrir à la fois ses origines et son destin ultime. C'est justement en comprenant l'existence de Dieu et de la foi religieuse que la personne parvient à trouver une réponse aux questions les plus fondamentales de la vie. C'est cette recherche commune de la vérité qui forme la base de la société : "Au centre de toute culture se trouve l'attitude que l'homme prend devant le mystère le plus grand, le mystère de Dieu" (Centesimus annus). Le dialogue significatif et la coexistence entre les religions ne peuvent avoir lieu en l'absence de liberté religieuse. Les cultures du monde, dans toute leur riche diversité de dons, peuvent apporter une importante contribution à l'édification d'une civilisation de l'amour. Il est pour cela nécessaire qu'existe un respect réciproque des différences entre les peuples, un respect inspiré du désir de défendre le droit de tout individu à chercher la vérité selon les préceptes de sa conscience et en continuité avec son héritage culturel. Après avoir reconnu la multiplicité des cultures et des civilisations, l'on doit se demander: qu’est-ce qui unit les hommes? La réponse nous est donnée par ces droits universels dont jouissent les êtres humains en vertu, précisément, de leur humanité . Comme l'a affirmé Jean-Paul II dans son discours à l'Assemblée générale des Nations unies en 1995: ”Loin d'être des affirmations abstraites, ces droits nous disent au contraire des choses importantes pour la vie concrète de tout homme et de tout groupe social. Ils nous rappellent aussi que nous ne vivons pas dans un monde irrationnel ou privé de sens, mais que, au contraire, il y a une logique morale qui éclaire l'existence humaine et qui rend possible le dialogue entre les hommes et entre les peuples’
Le dialogue établit certains éléments fondamentaux qui devraient composer le dialogue entre les religions en faveur de la paix. Ceux-ci incluent:
- l'affirmation selon
laquelle la violence et le terrorisme s'opposent à tout esprit religieux
authentique;
- l'éducation au respect et à l'estime réciproque entre les membres de groupes
ethniques, cultures et peuples différents;
- la reconnaissance du fait que faire face aux différences peut devenir une
occasion de plus grande compréhension réciproque;
- le pardon des erreurs et des préjudices du présent et du passé;
- la promotion d'une culture du dialogue, ouverte à la compréhension et à la
confiance
. Le Pape Jean-Paul II a encouragé cela à plusieurs occasions, tout en recommandant d'éviter tout risque de syncrétisme ou d'irénisme facile et trompeur, car cela nuirait, entre autres, au dialogue interreligieux lui-même (Tertio millennio adveniente).
Les chefs religieux ont une responsabilité particulière dans la tâche de réaffirmer profondément - et lorsque cela est possible ensemble - que les tentatives visant à utiliser les sentiments religieux pour engendrer la division, ou à utiliser la religion comme une excuse à la violence et au terrorisme, ne peuvent se concilier avec un authentique esprit religieux. Une condition préalable de cette affirmation consistera à garantir que les croyants évitent toute tentative de stéréotyper ou de présenter de façon erronée les autres religions et leurs croyances. les Etats ont la responsabilité de garantir le cadre, la culture et la législation fondamentaux au sein desquels un tel dialogue peut avoir lieu, et d'assurer que la diversité et le pluralisme soient pleinement respectés, en particulier en ce qui concerne les minorités religieuses. Une reconnaissance civile particulière est accordée à une communauté religieuse dans la constitution ou dans la législation d'un Etat, le droit de tous les citoyens et de toutes les communautés religieuses à la liberté religieuse doit être également reconnu et respecté (Vatican II, Déclaration sur la Liberté religieuse,). Personne ne devrait être considéré comme un citoyen de deuxième classe à cause de ses croyances religieuses.
L’acceptation passive des cultures, est inspirée par une conception sécularisée et pratiquement athée de la vie et par des formes d'individualisme radical, est tout aussi périlleuse. Il s'agit d'un phénomène de vastes proportions, soutenu par de puissantes campagnes médiatiques qui tendent à véhiculer des styles de vie, des projets sociaux et économiques, et en définitive une vision d'ensemble de la réalité, qui ronge de l'intérieur divers fondements culturels et de très nobles civilisations. En raison de leur forte connotation scientifique et technique mais malheureusement ils révèlent, avec une évidence toujours plus grande, un appauvrissement progressif dans les domaines humaniste, spirituel et moral. La culture qui les engendre est marquée par la prétention dramatique de vouloir réaliser le bien de l'homme en se passant de Dieu, le Souverain Bien. Mais, avertit le Concile Vatican II ‘ Une culture qui refuse de se référer à Dieu perd son âme en même temps que son orientation, devenant une culture de mort’. Le dialogue entre les cultures paraît particulièrement nécessaire si l'on considère l'impact des nouvelles technologies de communication sur la vie des personnes et des peuples. Nous sommes dans l'ère de la communication mondiale, qui est en train de façonner la société selon de nouveaux modèles culturels, plus ou moins étrangers aux modèles du passé. L'information précise et actualisée est, pratiquement accessible à quiconque, en n'importe quelle partie du monde. Le libre afflux des images et des mots à l'échelle mondiale est en train de transformer non seulement les relations entre les peuples au niveau politique et économique, mais aussi la compréhension même du monde. Ce phénomène offre de multiples potentialités, autrefois impensables, mais il comprend aussi certains aspects négatifs et dangereux. Qui peuvent donc provoquer chez les destinataires des effets de désappropriation et de perte d'identité.
Le dialogue entre les cultures, repose sur la conscience qu'il existe des valeurs communes à toutes les cultures Par ces valeurs, l'humanité exprime ses traits les plus vrais et les plus caractéristiques. Faisant abstraction des réserves idéologiques et des égoïsmes partisans, il faut cultiver dans les esprits la conscience de ces valeurs, qui rend possible le développement fécond d'un dialogue constructif. Les différentes religions peuvent et doivent, elles aussi, apporter une contribution décisive en ce sens. Face aux inégalités croissantes qui existent dans le monde, la première valeur dont il faut promouvoir toujours davantage la conscience est assurément la solidarité. Toute société se régit sur la base de la relation originelle des personnes entre elles, développée en cercles de relations toujours plus larges —jusqu'au cercle de la société civile tout entière et de la communauté nationale. De leur côté, les états ne peuvent pas faire autrement que d'entrer en rapport les uns avec les autres. Il faut toutefois relever que l'interdépendance croissante a contribué à mettre en lumière de multiples disparités, comme le déséquilibre entre pays riches et pays pauvres; la fracture sociale, à l'intérieur de chaque pays, entre les personnes qui vivent dans l'opulence et celles qui sont lésées dans leur dignité parce qu'elles manquent même du nécessaire; la dégradation de l'environnement et sur le plan humain, provoquée et accélérée par l'usage irresponsable des ressources naturelles. Ces inégalités et ces disparités sociales se sont accrues, dans certains cas, jusqu'à conduire les pays les plus pauvres à une dérive incontrôlable. Au cœur d'une authentique culture de la solidarité prend donc place la promotion de la justice. Il ne s'agit pas seulement de donner le superflu à ceux qui sont dans le besoin, mais « d'apporter son aide pour faire entrer dans le cycle du développement économique et humain des peuples entiers qui en sont exclus ou marginalisés. Ce sera possible non seulement si l'on puise dans le superflu, produit en abondance par notre monde, mais surtout si l'on change les styles de vie, les modèles de production et de consommation, les structures de pouvoir établies qui régissent aujourd'hui les sociétés ».12 La culture de la solidarité est étroitement liée à la valeur de la paix, objectif primordiale de toute société, ainsi que de la communauté nationale et internationale. Toutefois, sur le chemin vers une meilleure entente entre les peuples, les défis que le monde doit affronter sont encore nombreux:. Tandis qu'on s'efforce à grand peine de s'engager pour la non-prolifération des armes nucléaires, la croissance préoccupante des armements risque de nourrir et de répandre une culture de la compétition et du conflit, dans laquelle sont impliqués non seulement les états, mais aussi des entités non institutionnelles, tels des groupes paramilitaires et des organisations terroristes. Le recours aux horribles armes chimiques et biologiques, fruit empoisonné des connaissances techniques et scientifiques actuelles. Et que dire du risque permanent de conflit entre pays, de guerres civiles à l'intérieur de divers états et d'une violence largement répandue, que les organisations internationales et les gouvernements des Nations se révèlent presque impuissants à combattre? Devant de telles menaces, tous doivent sentir le devoir moral de procéder sans tarder à des choix concrets, pour promouvoir la cause de la paix et de la compréhension entre les hommes. La vie humaine ne peut être considérée comme un objet dont on disposerait arbitrairement, mais comme la réalité la plus sacrée et la plus intangible qui est présente sur la scène du monde. Il ne peut y avoir de paix lorsque disparaît la sauvegarde de ce bien fondamental. On ne peut invoquer la paix et mépriser la vie. Notre temps connaît des exemples lumineux de générosité et de dévouement au service de la vie, mais aussi le triste scénario de centaines de millions d'hommes livrés à cause de la cruauté ou de l'indifférence à un destin douloureux et brutal. Il s'agit là d'une tragique spirale de mort qui comporte des homicides, des suicides, des avortements, l'euthanasie, comme aussi les pratiques de mutilation, les tortures physiques et psychologiques, l'emprisonnement arbitraire, le recours nullement nécessaire à la peine de mort, les déportations, l'esclavage, la prostitution, l'achat et la vente de femmes et d'enfants. On peut ajouter les pratiques irresponsables du génie génétique, comme le clonage et l'utilisation d'embryons humains pour la recherche, que l'on s'efforce de justifier par une référence illégitime à la liberté, au progrès de la culture, à la promotion du développement humaine. Pour édifier la civilisation de l'amour, le dialogue entre les cultures doit tendre au dépassement de tout égoïsme ethnocentrique, afin d'harmoniser l'attention à l'égard de sa propre identité avec la compréhension d'autrui et le respect de la diversité. La responsabilité de l'éducation s'avère à cet égard fondamental. Elle doit transmettre aux individus la conscience de leurs racines et fournir des points de référence qui leur permettent de préciser leur place particulière dans le monde. En même temps, elle doit s'employer à enseigner le respect pour les autres cultures. Il faut regarder au-delà de l'expérience individuelle immédiate et accepter les différences, en découvrant la richesse de l'histoire des autres et de leurs valeurs. La connaissance des autres cultures, acquise avec le sens critique voulu et s'appuyant sur de solides points de référence éthique, conduit à une meilleure prise de conscience des valeurs et des limites de sa propre culture, et elle révèle en même temps l'existence d'un héritage commun à tout le genre humain. C'est précisément grâce à cet horizon plus large que l'éducation a une fonction particulière dans la construction d'un monde plus solidaire et plus pacifique. Elle peut contribuer à l'affirmation d'un humanisme intégral, ouvert à la dimension éthique et religieuse, qui sait donner toute l'importance qu'il faut à la connaissance et à l'estime des cultures et des valeurs spirituelles des diverses civilisations.
Le Vingtième siècle a été le siècle le plus sécularisé de l’histoire, une réalité totalement nouvelle pour les religions et le christianisme. Dans “l’hypermarché de la globalisation” se renforcent les appartenances de groupe et la religion est utilisée en fonction identitaire. Au terme du siècle le plus sécularisé de l’histoire les religions se retrouvent toutes nouvellement à exercer un rôle public, elles sont à nouveau protagonistes ou redeviennent un élément de légitimation. Le monde traverse donc un changement profond qui amène plusieurs peuples et nations à chercher de nouveau leur identité et le chemin de leur futur. Mondialisation signifie aussi interdépendance et cohabitation. Ce qui arrive aujourd’hui quelque part dans le monde nous touche tous. Mais cela signifie aussi que la culture globale ne détruit pas les identités mais les transforme. Il s’agit de quelque chose d’absolument nouveau, mais en même temps d’ancien. Dans la globalisation les nations et les peuples ne meurent pas mais s’adaptent et en s’adaptant se rapprochent. Il en découle une sorte de cohabitation des cultures, En de telles circonstances les identités ethniques, religieuses et culturelles se restructurent, en s’ouvrant à un horizon qui n’est plus celui d’avant, et parfois de manière conflictuelle. Le langage médiatique de plus en plus souvent parle de guerres ethniques ou de “guerres de religion”, suite à la désormais fameuse thèse du clash of civilizations de Samuel Huntington. Cette dernière semble correspondre à un désir latent: résoudre la complexité du monde et éviter le défi de l’interdépendance par la recherche de l’ennemi, par la séparation. Comme le remarque Amin Maalouf (auteur libanais), il n’existe pas d’identité qui vive seulement de la tradition parce que chaque identité nécessairement reçoit aussi l’influence de la force de ce qui est contemporain. Les identités religieuses ne sont pas des icônes immuables, de même que les identités sociales ou politiques. Il me semble plus clairvoyant de constater, toujours avec Maalouf, qu’aujourd’hui “si nous affirmons avec tant de rage nos différences, c’est justement parce que nous sommes toujours moins différents. Parce que, malgré nos conflits et nos inimitiés séculaires, chaque jour qui passe réduit un peu plus nos différences et accroît un peu plus nos affinités”.
La mondialisation impose une cohabitation inévitable, parce qu’elle diminue les distances. Par conséquent la cohabitation et la culture du vivre ensemble deviennent inévitables. Donc Nous avons le devoir, d’établir avant tout les bases spirituelles, mais également économiques et d'autre type, de la paix dans le monde. Et ces bases sont la justice, le respect du caractère sacré de la personne humaine du prochain et de sa liberté et dignité, la réconciliation, la disposition bienveillante envers l'homme, et en général envers la vie vertueuse selon Dieu, qui comprend également la justice, la participation équitable de tous aux biens de la terre, de la science et de la technologie. En revanche, si nous persistons dans nos passions pécheresses et malveillantes et dans nos aspirations personnelles avides, intéressées et individualistes, les voix de la guerre se feront plus fortes et le malheur frappera la terre et l'humanité. Nous reconnaissons que nos traditions peuvent être sujettes à des déviations pour diviser les personnes, au lieu de les réunir. Nous nous sommes parfois définis à partir de ce qui nous divise, plutôt que de ce qui nous unit. Nous reconnaissons que nous nous sommes mal compris et que nous nous sommes blessés les uns les autres; c'est pourquoi nous devons édifier notre paix sur le besoin d'accueillir le pardon et de l'offrir. Toutefois, nos préoccupations doivent être dans le même temps pratiques, et pas seulement orantes et prophétiques. Nous ne pouvons proclamer la liberté aux prisonniers sans libérer les pauvres d'une dette opprimante. Si nous voulons vivre en harmonie avec nos voisins, cela signifie que nous devons donner à manger à ceux qui ont faim et soigner les malades. Si nous nous considérons membres d'une seule famille humaine, nous devons partager avec les nombreuses personnes qui vivent dans la pauvreté les bonnes choses que seuls quelques-uns d'entre nous possèdent. Nous devons le faire d'une manière qui soit honorable pour tous ; qui respecte la dignité de tous, et qui nous permette à tous de participer à la vie économique et politique du monde. Le dialogue interreligieux et les relations entre personnes de fois diverses sont eux-mêmes des expressions de foi véritable en Dieu. Celles-ci bâtissent des ponts de confiance réciproque et de respect, et abattent les murs d'hostilité. Les relations interreligieuses ne peuvent être séparées de leurs implications sociales et politiques. Dans un monde bouleversé par la férocité des haines alimentées par des fondamentalismes religieux, le dialogue interreligieux jouit d'une attention prioritaire renouvelée. Une lourde responsabilité pèse à présent sur les hommes politiques du monde, ainsi que sur les communautés religieuses, sur les institutions financières, sur les communautés scientifiques et éducatives, sur les institutions et les bureaux d'information et sur le monde du spectacle. Le monde ne peut plus être simplement un stade de compétition féroce, mais doit être un lieu de recherche de l'avenir commun de l'humanité.
1] Le mystère du salut des nations, Paris, Seuil, 1946
2] Les saints païens de l’Ancien Testament, Paris, Seuil 1956
3] Henri de Lubac, le Mystère du Surnaturel, Paris, Aubier, 1965
4]Karl Rahner, Traité fondamental de la foi (traduction française) Paris, Centurion, 1983
5] Abraham dans le Coran, Paris, Vrin, 1958,
6]Nous avons partagé le pain et le sel, Paris, Cerf, 1965, 103 p.
7] Prêtre des non chrétiens, Pari, Cerf, 1968, 108 p.
8]Maurice Borrmans Orientation pour un dialogue entre chrétiens et musulmans, Paris, Cerf 1981, 191p.
9] Texte dans Bulletin, C.P.D.I. 1984, 56p
10] Texte des Bulletins 1991,77
11] Déclarations communes islamo-chrétiennes Beyrouth, Dar al Machreq, 1997, 376 p. et 14 tableaux chronologiques
12] Jean-Paul II, Encyclique Centesimus annus, n. 58
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