Le sujet de la coexistence au
Liban d'une société multiculturelle et multi-religieuse revêt en soi une
importance historique, que ce soit au niveau interne du pays lui-même qu'au
niveau régional et même international. Le peuple libanais est conscient de ce
rôle qu'il a rempli depuis des siècles. Les discours publics des chefs tant
religieux que politiques du Liban reviennent toujours sur ce rôle. Ils vont même
souvent jusqu'à présenter avec fierté comme modèle le système sociétal propre à
ce pays, souvent d'ailleurs non sans exagération, il faut l'avouer.
A jeter un regard global sur l'histoire du pays du
Cèdre, on constate que le Liban a accueilli et intégré, surtout au cours des
trois derniers siècles, des communautés ethniques et confessionnelles variées.
Les événements historiques de la région lui ont imposé en quelque sorte cette
mission, et lui a trouvé en lui-même les conditions pour jouer ce rôle.
Cette mission d'accueil et de coexistence, dévolue à
ce pays, n'a jamais été un cadeau gratuit, et aujourd'hui encore elle reste pour
lui un privilège et un défi jamais complètement relevé. Aujourd'hui, plus que
jamais, le Liban - qui traverse une crise existentielle - a à chercher et
découvrir en lui-même l'inspiration et le courage de rester fidèle à lui-même.
Et cela malgré toutes les forces adverses, du dedans et de 1'extérieur, qui
cherchent à le neutraliser.
Coexistence au Liban
Un tout petit pays par ses dimensions territoriales,
mais son importance sur la scène du Proche Orient, et même au-delà, n'est pas,
n'a jamais été dans le passé, proportionnelle à sa superficie. Durant toutes les
époques de domination par des puissances étrangères, notamment durant
l'occupation ottomane, une partie du peuple libanais a trouvé les moyens de
sauvegarder une certaine autonomie. Au cours des derniers siècles, le Liban, en
particulier le peuple maronite, s'est montré hospitalier, accueillant envers des
communautés de différentes confessions en mal de trouver un refuge où elles
puissent jouir de conditions minimales pour sauvegarder librement leur identité
religieuse et leur culture.
Ainsi se sont dessinés progressivement les traits qui
ont fait de ce pays minuscule le Liban multiconfessionnel que nous connaissons.
Les différents épisodes sanglants qui ont marqué son évolution, n'ont pas eu
raison de cette volonté générale instinctive de défendre son unité. Travail
ardu, il est vrai, mais qui cache des potentialités qui ont fait leurs preuves.
Par étapes successives le pays est parvenu à ce stade de devenir un état reconnu
par la famille des nations.
Le système de gouvernement basé sur la répartition
(équitable) des charges entre les illustration d'une coexistence fructueuse
entre les composantes de la société libanaise. Ce système a fait la force du
pays pendant un siècle. Mais il y a hélas! le revers de la médaille. De
multiples causes ont vite montré les limites d'un tel système. Incompétence
professionnelle, confessionnalisme, communautarisme, clientélisme, fausse
conception de la place du religieux dans la gestion de la cité, (sans parler de
la corruption à grande échelle), tout cela a souvent noyauté et pourri cette
apparente répartition équitable des charges, et a vite fait le lit à des germes
de tensions souvent meurtrières qui, lors des crises politiques (dont aucun pays
n'est totalement exempt), ont eu pour effet la paralysie que nous constatons
encore et dont il semble parfois impossible de sortir. Comment confier àdes
politiciens corrompus la mission de combattre et éradiquer la corruption?
Comment faire régner la justice d'une manière égale pour tous les citoyens,
quand des assassinats politiques se pratiquent à grande échelle, et que les
assassins restent systématiquement impunis? Comment empêcher que telle
communauté, ou tel parti, porte allégeance non pas au Liban comme à sa patrie,
mais à un pays étranger dont il reçoit les ordres ? C'est ce que nous avons
constaté ces dernières décades à un degré exponentiel.
Il est vrai que le niveau d'évolution culturelle et
morale est loin d'être le même dans tout le tissu humain libanais; et cela est
un handicap pour un vrai progrès de la société à tous les échelons, comme pour
une coexistence harmonieuse, complémentaire et féconde.
Éducation
Existe-il une solution magique pour que réellement le
Liban devienne ou redevienne (?) une Suisse du Proche Orient (comparaison déjà
ancienne) et un modèle pour d'autres pays, comme il l'a trop souvent affirmé ?
Dans une lettre apostolique du 9 septembre 1989,le pape Jean-Paul II écrivait
cette phrase audacieuse:« Le Liban est plus qu'un pays, c’est un message. » Il
est hautement souhaitable que tous les fils et filles du Liban confirment cet
oracle sur le terrain, par leur vie de chaque jour. Un moine cistercien, fils du
Liban, aura à cœur de contribuer à la réalisation de ce rêve par sa vie de
prière.
Rien ne se fera d'une manière magique. Aucune solution
ne tombera du ciel, comme un beau cadeau apporté par quelque papa Noël. Le Liban
sera ce que ses citoyens en feront. D'autres pays, de l'extérieur, pourront
contribuer (par sympathie ou par intérêt) au relèvement, à la renaissance de ce
pays qui a déjà rendu de grands services à l’humanité (surtout par nombre de ses
fils émigrés qui ont brillé par leurs qualités, leurs compétences, les
responsabilités qu'ils ont assumées dans les pays où ils se sont transplantés).
Je pense qu'une condition fondamentale est
indispensable pour arriver à cette coexistence si nécessaire. C'est l'éducation
des jeunes dès leur plus jeune âge, à la fois dans le milieu familial, à l'école
à tous les échelons, dans la formation religieuse. C'est la condition
irremplaçable de base, sans laquelle tout discours, toute construction de
l'édifice ne pourra tenir.
Le peuple libanais a beaucoup de ressources. Ses
enfants l'ont prouvé dans le passé, et encore aujourd'hui dans divers domaines,
divers champs d'action, divers pays. La crise actuelle, si grave soit-elle, ne
sera que passagère, et une nouvelle aurore verra le jour. C'est là mon
sentiment.
Père Louis Wehbé o.c.s.o.