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Le roi qui voulait être aimé |
Il était une fois un roi très riche et très puissant qui vivait dans un
majestueux palais au sommet d'une colline. Une grande et magnifique cité
l'entourait. Là, dans de luxueuses résidences, demeuraient les ministres et
conseillers, et personne qui n'ait affaire au gouvernement du royaume ne pouvait
franchir les portes de la capitale.
Et, dans son palais de marbre, entouré de hautes
murailles et gardé par de puissantes tours, le roi était seul.
C'était pourtant un roi sage et bon. Il demanda un jour à son conseiller:
- Le peuple est-il heureux?
- Seigneur, il rend grâces au Ciel de lui avoir donné un roi puissant, bon et
sage. Jamais, de mémoire d'homme, le pays n'a connu une paix aussi longue ni une
telle abondance.
- Mais sont-ils heureux?
- Bien sûr, j'ai vu des couples se rompre et entendu des enfants pleurer.
J'ai vu des infirmes tendre leur sébile sur les places. J'ai vu aussi la douleur
muette dans le regard d'une maman penchée sur un berceau vide. Mais qui pourrait
abolir la maladie, l'infirmité et la mort?
Le roi appela alors une femme connue pour sa
sagesse. On la disait aussi un peu magicienne.
- La paix et la prospérité sont nécessaires au bien des peuples, lui
dit-elle, mais ne suffisent pas au bonheur. Pour être heureux, il faut avant
tout aimer et se savoir aimé. Alors seulement, le pauvre peut oublier sa misère
et le malade sa souffrance. Tes sujets doivent savoir combien tu les aimes afin
qu'ils puissent éprouver la joie de t'aimer.
- Ne m'aiment-ils donc pas?
- Tes sujets, Seigneur sont remplis de crainte devant ta puissance. Mais
ils ne t'ont jamais vu de leurs yeux, comment pourraient-ils t'aimer s'ils ne te
connaissent pas?
Le roi décida donc de se montrer à son peuple. Il
revêtit ses plus beaux habits, et, monté sur son cheval caparaçonné d'or,
entouré de la garde royale en grand apparat, il quitta le palais et franchit
pour la première fois les murs de la capitale. Pendant un mois, il parcourut son
royaume. Et partout sur son passage, les gens se jetaient à terre, éblouis par
sa gloire.
Quand il revint au palais, il interrogea à nouveau son conseiller.
- Alors, que disent-ils?
- Ils se prosternent, Seigneur, devant ta majesté.
- Qu'ai-je à faire de prosternements d'esclaves! C'est l'amour que je veux,
et l'amour ne peut venir que d'hommes libres!
Le roi fit appeler son trésorier et lui dit:
- Je ne peux toucher à la richesse du royaume car elle doit profiter au
royaume, mais j'ai dans mon trésor personnel de la vaisselle d'or dont je n'ai
aucun usage, va, vends-la et distribue le produit aux pauvres, puis tu
reviendras me rendre compte.
Surpris de cet ordre, le trésorier n'osa cependant répliquer et fit ce qui lui
avait été commandé. Quand tout fut distribué, il retourna auprès du roi et lui
dit.
- Seigneur, les pauvres te bénissent et rendent grâce à ta bonté.
- Sont-ils plus heureux, au moins?
- Pardonne ma franchise, Seigneur, mais ceux qui ont reçu se sont
empressés de tout dépenser et sont redevenus vite aussi pauvres. Quant à ceux
qui n'ont rien obtenu, ils jalousent les autres et t'accusent d'injustice.
Le roi décida donc de rendre lui-même la justice.
Il fit proclamer que tous ceux qui s'estimaient lésés par un jugement dans une
affaire grave, pouvaient faire appel à lui. Ce fut pour lui une lourde tâche,
mais il put ainsi redresser bien des jugements prononcés par des juges corrompus
et il y eut plus d'équité dans le royaume.
Au bout d'un an, il interrogea à nouveau son
conseiller.
- Tes sujets célèbrent ta justice, Seigneur, car, en vérité, à tes yeux,
il n'y a ni riche ni pauvre, ni puissant, ni faible: tous sont égaux devant toi.
Le roi se dit en lui-même: "Oui, mais il manque toujours l'amour!" et il ne
demanda pas s'ils étaient heureux car il savait la réponse.
Il convoqua alors la magicienne.
- La puissance engendre la crainte, lui dit-elle, et la richesse suscite
l'envie. De ta bonté et de ta justice, ils ne te savent aucun gré. Ils disent:
"A quoi bon un roi, si ce n'est pour établir la paix et la prospérité et faire
régner la justice. Il ne fait que son devoir de roi." Et n'oublie pas la rancune
de tous ceux que ta justice a lésés.
- On dit que tu as d'étranges pouvoirs, ne peux-tu donc faire naître en
eux l'amour?
- Je peux changer l'apparence, mais non le cœur. Si je transformais une
souris en tigre, elle continuerait à fuir devant le chat. Tu dois donc changer
toi-même afin qu'ils puissent t'aimer vraiment et connaître ainsi la joie. Il te
faut te dépouiller de ta puissance et ta richesse et accepter d'être faible et
vulnérable. Y es-tu prêt?
- Et le royaume?
- Le meilleur chef est celui qui sait se rendre inutile. Ton conseiller
n'a-t-il pas toute ta confiance? Confie-lui ton sceau. Tu as établi des lois
sages, sa seule tâche sera de les faire appliquer.
Le roi fit ainsi. Il déclara à son conseiller qu'il partait en voyage et le
nomma Régent du royaume. Puis il revint voir la femme et lui dit:
- Je suis prêt à te suivre, je ferai tout ce que tu me diras.
Elle lui fit revêtir des haillons et ils quittèrent ainsi le palais. Ils
traversèrent la capitale et se retrouvèrent le soir dans la montagne, non loin
d'un petit village.
La femme dit:
- Ce soir, tu es un vagabond, tu dormiras comme les vagabonds.
Et elle lui désigna une grotte qui servait d'ordinaire de refuge aux bergers des
environs. Ils y pénétrèrent. Un peu de paille recouvrait le sol.
- Voilà ton lit lui dit-elle. Étends-toi.
Fatigué par la longue marche, le roi ne tarda pas à
s'endormir. Alors, la magicienne prononça sur lui un sort et sortit de la grotte.
Elle partit en direction du village, criant à tous ceux qu'elle rencontrait:
- Venez voir votre roi! Il est là-bas!
Bientôt, une foule nombreuse se rassembla à l'entrée de la grotte. Les gens se
bousculant pour y pénétrer.
Mais les savants, les riches, les grincheux,tous ceux au cœur racorni,
ressortaient en pestant:
- Cette femme s'est moquée de nous!
Cependant que les pauvres, les simples,ceux qui ont gardé au cœur assez d'enfance pour ne s'étonner de rien et s'émerveiller de tout,ceux-là restaient dans la grotte, immobiles,le cœur rempli d'amour, les yeux fixés sur le petit enfant qui leur souriait.
REF : E.Mail
الخوري نسيم قسطون
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